Mercosur : ces avantages cachés dont personne n’ose vous parler
La conclusion d’un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur ferait nettement augmenter les exportations de l’industrie européenne et permettrait de reprendre des parts de marché face à la Chine.
Quels sont les principaux arguments en faveur d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur ? Quels sont ses principaux atouts notamment sur le plan économique ? Le fait de ne pas signer l’accord ne va-t-il pas nuire aux intérêts de l’Europe ?
Jean-Luc Demarty : Le Mercosur est la cinquième zone économique du monde en taille économique en dehors de l’UE, avec des droits de douane élevés sur les produits industriels et des barrières à l’entrée importantes dans le secteur des services. En outre le Mercosur n’a aucun accord de libre-échange (ALE) avec d’autres pays significatifs. A l’entrée en vigueur de l’accord, l’UE bénéficiera d’importants gains liés à son statut de premier arrivé, notamment l’élimination de 4 milliards d’EUROS de droits de douane pour les entreprises européennes. Le Mercosur est également riche en matières premières essentielles pour la transition énergétique.
En outre, il ne faut pas négliger la dimension géopolitique de cet accord dans le monde fracturé qui s’annonce pour longtemps. A côté de l’ALE il y a également un accord d’association politique négocié en parallèle. Si cet accord n’est pas conclu d’ici 2025, il est à craindre que la porte soit refermée pour toujours. Ce serait une tragédie pour l’Europe dont la présence deviendrait rapidement négligeable sur le marché du Mercosur. La France y a même certainement un intérêt plus élevé. En effet le Mercosur est une des rares zones du monde où la France a un excédent commercial important, de l’ordre de 4,5 milliards d’EUROS en biens et services.
Pourquoi cette question est souvent détournée des enjeux réels, notamment sur le plan économique, à travers des biais idéologiques, par exemple sur les normes environnementales ?
Tout d’abord, depuis 15 ans, tous les ALE ont une nouvelle architecture avec un important chapitre développement durable. Tous les partenaires de l’UE doivent s’engager à ratifier et appliquer les principaux accords multilatéraux en matière d’environnement et les conventions clefs de l’OIT. C’est ainsi que l’UE a pu contraindre la Corée à ratifier trois conventions de l’OIT. Par ailleurs la notion de clause essentielle a été introduite, couvrant les droits de l’homme et la non-prolifération des armes de destruction massive. La violation significative de l’une de ces clauses est suffisante pour justifier une suspension de l’ALE correspondant.
La principale nouveauté est l’ajout de l’accord de Paris sur le climat dans les clauses essentielles de tous les nouveaux accords depuis 2020. J’avais lancé l’idée en décembre 2017 dans une lettre du Président Juncker au Président Macron. Le gouvernement français a repris l’idée à son compte, en prétendant que c’était son idée comme le font tous les gouvernements français en pareil cas avec la formule consacrée arrogante habituelle « à l’initiative de la France ». Finalement l’arrivée de la nouvelle Commission Européenne, sous la Présidence d’Ursula von der Leyen, a permis d’adopter définitivement le concept en 2020 dans tous les nouveaux accords. La Commissaire suédoise au commerce de 2014 à 2019, Cecilia Malmström, principale opposante à la clause, avait alors quitté Bruxelles.
Prétendre aller au-delà de l’ensemble des conditions mentionnées plus haut relève de la mauvaise foi politicienne.
Le Mercosur pose une difficulté particulière parce qu’il est la zone la plus compétitive du monde pour les produits agricoles les plus sensibles de l’UE, plus particulièrement en France, la viande bovine, la volaille et le sucre. C’est pourquoi d’énormes précautions ont été prises avec la fixation de contingents tarifaires à droits de douane faibles ou nuls autour de 1 % de la consommation totale de l’UE. Au-delà de ces quantités, les droits de douane normaux et dissuasifs s’appliquent. Cela signifie que ces contingents fonctionnent de facto comme un plafond absolu.
On peut comprendre que les agriculteurs concernés soient mécontents de la perspective de l’accord Mercosur, même si d’autres agriculteurs français vont en profiter très significativement dans les secteurs des produits laitiers et des vins et spiritueux. Comme déjà indiqué précédemment leurs problèmes ont une solution surtout si le gouvernement français s’attaque enfin sérieusement au problème fondamental de l’agriculture française, son manque de compétitivité par rapport à ses concurrents de l’UE.
Renoncer à l’accord Mercosur au nom de difficultés agricoles surmontables et d’ampleur sans commune mesure avec les gains globaux de l’accord serait une erreur stratégique majeure à laquelle tous les gouvernements français depuis 25 ans nous ont malheureusement habitués, obsédés par leur courtermisme keynésien. Toutefois il serait prudent politiquement de ne pas conclure l’accord avant les élections européennes dans un tel climat surchauffé.
En quoi l’approfondissement des liens avec les pays du Mercosur permettrait de réduire les risques de l’UE et d’assurer sa diversification de liens économiques en dehors de la Chine ? Des retards dans la signature de cet accord de libre-échange ne vont-ils pas bénéficier à la Chine ?
Ne pas conclure cet accord d’ici 2025 serait un énorme cadeau à la Chine et accepter un déclin inexorable de l’UE. Ce serait la fin définitive de l’accord dont le Mercosur n’acceptera pas de prolonger indéfiniment la négociation. Ce serait également faciliter le projet prométhéen de la Chine de s’assurer le contrôle des matières premières stratégiques qu’elle cherche à mettre en œuvre de l’Afrique à la Nouvelle Calédonie en passant par l’Indonésie.
