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Zemmour, candidat de l'élite, et qui le lui rend bien

C'est Ariane Chemin et Ivanne Trippenbach, du Monde, qui lèvent le lièvre : il  y a une "étrange bienveillance" des élites pour Eric Zemmour, ou du moins d'un certain milieu grand bourgeois très select, du Jockey Club à l'Interallié, qui n'aurait jamais laissé un Le Pen mettre le pied dans ses salons feutrés, mais qui a bel et bien cédé aux instances du polémiste et multi-condamné pour provocation à la haine raciale. L'article est réservé aux abonnés, mais on peut partager librement les réflexions qu'il inspire.

Le tableau brossé par les deux auteures recoupe celui qui se dégage de la biographie, très fouillée, qu’Étienne Girard a consacrée au personnage, Le Radicalisé, même si on peut relever des inexactitudes. Par exemple, Zemmour a fini par être exclu de la piscine du Cercle de l'Union interalliée parce qu'il emm... tout le monde avec des discours militants jusque dans les vestiaires ! On peut aussi être dubitatif sur une anecdote placée en 2014, où le patron de Valeurs actuelles doit lui dire de mettre une cravate pour passer à la télé faire la promotion d'un de ses livres, comme s'il était nécessaire d'apprendre à un collaborateur régulier du Figaro quel était le signe de reconnaissance des élites.

Ceux qui font des yeux de Chimène à Zemmour sont surtout des membres de l'aristocratie économique et leurs alliés des médias et de la haute fonction publique, le "1%" français, si on veut. Un milieu qui évoque irrésistiblement celui croqué par Souchon et Voulzy dans "Poulailler Song"... Certaines choses n'ont guère changé depuis 1977 !

 

On voit bien quel est l'attrait pour Zemmour d'être inclus dans ces cercles prestigieux. Mais lui, que leur apporte-t-il ?

D'abord le plus évident : des satisfactions d'amour-propre. Éric Zemmour a réussi à se fabriquer une réputation d'intellectuel et même d'historien, bien qu'il n'ait pas de diplôme universitaire ni la moindre formation en la matière, et que la façon dont il réécrit le passé fait bondir les vrais historiens. Or dans un pays comme la France, où la vie intellectuelle est fortement marquée par le marxisme et les idées de gauche, la grande bourgeoisie se voit rarement tresser des couronnes, au contraire. Vilipender l'argent, le capital, les héritiers, les possédants fait partie des lieux communs les plus répandus. (À tort ou à raison, là n'est pas la question. Le fait est que cela fait partie du climat mental.) Il doit donc être doux de se voir courtiser pour une fois par un intello.

Mais il y a autre chose. Le discours de Zemmour, avec toutes ses outrances, valide aussi certains choix et comportements de cette élite capitaliste. Quand il décrit une France au bord de la guerre civile, sur le point d'être "submergée" par un "grand remplacement" d'étrangers inassimilables et dangereux, il conforte et dédouane moralement ceux qui pratiquent ce qu'on peut appeler le séparatisme des élites : ce n'est pas leur faute s'ils s'éloignent du peuple, investissent dans l'école privée, fuient la mixité sociale, non, ce sont les classes populaires qui ont changé, elle ne sont plus le "bon peuple" français mais une masse d'"envahisseurs".

Cela ne tient pas debout ? Non, mais on n'est pas dans le cadre d'un débat rationnel, ici. Il s'agit d'intérêts et de leur justification idéologique. Comme le dit une maxime bien connue : Suivez l'argent !

Le mépris de Zemmour pour les Africains, quant à lui, ne peut que conforter ceux qui profitent du business de la Françafrique, de Samuel Maréchal (père de Marion Maréchal-Le Pen, qui soutient la candidature du polémiste) à Vincent Bolloré, qui a mis tout le poids de son groupe médias dans la campage.

Même les pires énormités de Zemmour, les tentatives de réhabilitation de Vichy, ne sont pas gratuites, pas pour les membres des clubs très chics qui l'ont adoubé. Et pourquoi ne l'auraient-ils pas fait ? En serinant que Pétain, au fond, n'avait pas vraiment fait tant de mal, pas même aux juifs (du moins ceux qui étaient français), il déculpabilise les héritiers de pas mal de gens qui ont trempé dans la collaboration économique, qui ont même pu très bien y tirer leur épingle du jeu...

Banquiers, industriels et hauts fonctionnaires français ont participé à l'"aryanisation" des entreprises françaises, bref à la spoliation des juifs. "C'est au sommet de la société que les Allemands trouvèrent la collaboration la plus précieuse". Aider les Nazis à mettre la France en coupe réglée (la production agricole et industrielle étant détournée vers l'Allemagne) a aussi offert bien des possibilités.

On sait que l'épuration, à part quelques nationalisations pour l'exemple, n'a pas vraiment opéré de redistribution des cartes économiques. Le désir de retrouver une unité nationale mise à mal a pu aider à reconstruire après la guerre, mais il n'a pas fait grand-chose pour changer l'attitude de ceux qui avaient profité de l'Occupation. Ni pour changer les mentalités de ceux, aujourd'hui, qui préfèrent réhabiliter Pétain que de regarder en face un passé peu glorieux.

Irène Delse

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