18.01.24 – La stratégie du chaos
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Désorganiser l’ennemi, l’affaiblir, lui faire prendre des vessies pour des lanternes, c’est une facette essentielle de la guerre, surtout lorsque le commandant en chef est un spécialiste de la dissimulation et des financements clandestins. Je reste pantois devant l’ampleur de la préparation qui a précédé l’opération spéciale dans le monde occidental, depuis bien plus de dix ans. Je discutais hier dans un dîner avec un retraité, russe blanc, bien sous tous rapports et plutôt sympathique… De par son ex-profession, normalement bien renseigné et averti des choses de la géopolitique… N’empêche, le gars était imbibé jusqu’à l’os de propagande moscovite, répétant tous les poncifs dont on sait qu’ils sont faux et archi-faux, mais qu’importe, lui il y croyait, de bonne foi.
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Ils sont nombreux, comme lui, à n’être pas des méchants bougres et c’est d’ailleurs à eux que s’adresse la propagande visant à présenter l’ogre agresseur en pauvre victime et les truands pro-russes du Donbass en autochtones martyrisés par des nazis. Pour parvenir à leur faire croire de tels mensonges, il faut leur avoir lavé le cerveau et c’est une opération de longue haleine. Des comme ça, il y en a des millions en Europe, russes blancs mais pas que, à l’image des deux tiers des députés du parlement allemand qui ont voté hier contre la fourniture de missiles Taurus à l’Ukraine. Pour toutes sortes de raisons qui font que les petits problèmes de politique intérieure passent avant la menace pourtant existentielle que fait peser la Russie sur nos démocraties.
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Heureusement, la déstabilisation fonctionne dans les deux sens. Si la main de fer dans un gant de barbelés ne facilite pas la tache des contestataires en Russie (alors qu’ils ont carte blanche et tapis rouge en occident), la pénurie de biens et la restriction des libertés attisent les braises de la révolte. Entre les manifs et la vétusté des infrastructures de chauffage, qui manquent tout simplement d’entretien et de main d’oeuvre, la prochaine élection présidentielle pourrait être plus compliquée que prévu.
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Aux Etats-Unis aussi, les choses pourraient se compliquer pour Trump. Les leaders démocrates commencent à fourbir leurs armes et rentrent en campagne, alors que jusqu’à présent on n’entendait guère que les Républicains. Cependant, ils retiennent encore leurs coups jusqu’à ce que sa nomination soit effective, car Trump serait le candidat le moins difficile à battre. Contre Nicky Haley, je ne donnerais pas cher de la vieille peau de Biden. L’élection se jouera sur les 13 à 15% d’indécis et entre deux épouvantails, ils choisiront le moins pire… sauf si une alternative crédible se présente !
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En attendant, les livraisons d’armes ne sont pas aussi bloquées qu’on le dit. Les Allemands vont refaire un tour au Bundestag, mais cette fois en préparant l’affaire en amont avec les partis. Et Biden réunit les leaders républicains à la Maison Blanche pour leur expliquer les enjeux et trouver un compromis, au-delà des effets d’annonce. Quand à Macron, il promet Scalps et bombes, mais un rapport parlementaire pointe le gap entre discours et réalité. Le problème de fond reste celui des quantités produites ! Heureusement que la livraison de Mirage 2000D se précise. Rénovés et spécialisés dans le bombardement, ils seront très utiles.
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Il serait temps, effectivement, que l’Europe entière prenne la mesure de la situation, parce que la situation se tend, partout. L’Iran et le Pakistan sont à deux doigts de se taper dessus, après que le bombardement de villages pakistanais abritant – selon les mollahs – des terroristes baloutches ayant causé l’attentat sur la tombe du chef des pasdarans. L’Iran a également frappé l’Irak, qui n’est cependant pas en mesure de lui répondre, contrairement à Islamabad… La Turquie de son côté bombarde depuis trois jours les installations pétrolières du régime syrien et les Houthis continuent de se prendre dix tomahawks pour chaque pauvre missile qu’ils envoient… Combien de temps tiendront-ils à ce rythme suicidaire ?
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Première victime de ces gesticulations houthies, l’Egypte hausse le ton. Elle se souvient avoir mené des années de guerre au Yémen, mais surtout, elle vise directement le donneur d’ordre, à savoir la Russie, en menaçant de saisir ses avions de ligne, qui jusqu’à présent avaient encore le droit d’atterrir au Caire. Les touristes russes pourront heureusement se rabattre sur la Corée du Nord, qui leur ouvre ses portes. Entre famine, défilés de masse et déraillements de train, on leur souhaite bien du plaisir.
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Plus de 80 pays s’engagent dans la construction d’un processus de paix qui bute encore sur l’essentiel : son acceptation par la Russie qui refuse pour l’heure de reculer à l’intérieur de ses frontières. La Chine – dont l’économie continue de ralentir – n’a pas encore rejoint le club, mais resserre chaque jour un peu la corde autour du cou du pendu. Dernière pitchenette, les médias spécialisés chinois démontent en règle les soi-disant armes fatales russes comme le Kinjal, inarrêtable si l’on en croit Poutine, mais que les simples Patriot stoppent à chaque fois.
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Bref, on peut encore espérer empêcher le bain de sang global, mais pour cela, il faut impérativement deux choses : faire rentrer le dogue russe à la niche et reconstruire une défense crédible, qui soit réellement dissuasive. Si vis pacem parabellum…
Philippe Souaille (1er décembre 1954 à Salies-de-Béarn France) est un journaliste, cinéaste et politologue franco-suisse.