Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre : “La campagne présidentielle est mal partie”

TRIBUNE – L’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve estime que le débat politique actuel “vire au pugilat” et met en garde “celles et ceux qui solliciteront la confiance populaire”.

La tribune

“Attention, danger. Dans moins de deux cents jours, le peuple français élira le prochain président de la République. Alors qu’il n’est rien de plus sacré en démocratie que la possibilité d’un choix raisonné par l’expression du suffrage, la campagne en ses prémices s’engage sous les pires auspices. Scandé par les déclarations des candidats et de leurs soutiens que diffusent à l’envi les chaînes d’information en continu et qu’attisent les réseaux dits sociaux, le débat vire au pugilat. On flatte les instincts plutôt que d’exposer des idées. Aux arguments qu’on échange on préfère les anathèmes qu’on se lance au visage avec l’intention d’atteindre et de blesser.

Ces derniers jours, les citoyens, parmi lesquels les jeunes qui vont voter pour la première fois en 2022, ont entendu un quasi-candidat procéder à une réhabilitation du régime collaborationniste de Vichy, asséner une théorisation sur l’incapacité des femmes à ‘incarner le pouvoir’ ou encore assimiler islam et islamisme, une religion – et ceux de nos compatriotes qui l’ont en partage – et sa trahison fondamentaliste.

Imagine-t-on un semestre d’outrance rhétorique, de violence sémantique et de vide politique, ainsi que ses effets sur la concorde civile?

Pour surfer sur la vague maurassienne dont ils attendent qu’elle les porte, certains, à droite, ont choisi la surenchère - en banalisant la notion de “grand remplacement” forgée à l’extrême droite - ou l’outrance - en parlant d'”épuration ethnique” à propos de l’absence de mixité dans une partie des quartiers de nos villes. D’autres, issus de l’actuelle majorité parlementaire, ont choisi de qualifier un adversaire de “virus”.

Enfin, on a vu les deux figures les plus en vue de l’extrémisme politique s’affronter sur une chaîne de télévision ayant ainsi déroulé le tapis rouge à l’approximation sur tous les sujets et à la simplification de tous les enjeux.

Imagine-t-on un semestre d’outrance rhétorique, de violence sémantique et de vide politique, ainsi que ses effets sur la concorde civile? Après le vote, il faudra vivre ensemble et gouverner pour tous! Je sais qu’à la Bourse des valeurs la tempérance, la modération et la nuance ont actuellement une faible cotation, mais on ne se refait pas. D’où cette alerte en forme de supplique à celles et ceux qui solliciteront la confiance populaire. Elle tient en trois observations.

Il appartient à chacun de nous, qui a au cœur l’amour de notre pays, de participer à un sursaut salutaire pour dire avec force l’ardent refus de l’abaissement

  1. L’élection présidentielle est d’abord l’évaluation d’un bilan. La France est-elle plus forte qu’il y a cinq ans? L’économie est-elle plus compétitive pour que le pays soit souverain? La société est-elle plus juste et unie? Y répondre échoit au président sortant autant qu’aux prétendants.
  2. La France et l’Europe sont confrontées à des crises multiples qui, nées des chocs de la décennie qui s’achève, se superposent et s’enchevêtrent. L’accélération du changement climatique, les impacts individuels et collectifs de la plus grave pandémie depuis un siècle, la menace des bulles spéculatives et de l’endettement, le terrorisme qui en veut à notre art de vivre fondé sur la liberté, l’égalité femme-homme et la laïcité. Avant de légitimement se distinguer, les projets doivent impérativement avoir le réel pour point d’appui, car ce sont les défis qu’il présente à nous qui peuvent nous inciter à unir nos forces, alors que les idéologies fermées et les slogans à l’emporte-pièce préparent généralement les confrontations les plus funestes.
  3. Le choix du chef de l’Etat et d’une politique pour cinq ans doit articuler le quotidien et le futur, le national et le global. Liées, la dépendance énergétique de l’Europe et la crise du pouvoir d’achat. Indissociables, les enjeux de la formation, de la réindustrialisation, de la déconcentration de l’Etat, de l’aménagement du territoire. Inséparables, la création d’emploi, la stimulation de la recherche et de l’innovation, une société de la qualité de vie et la décarbonation - accessible partout et à tous - des modes de production et de transport. Inséparables, la priorité aux services publics, et d’abord à la santé, et les solutions sérieuses pour garantir leur financement. Consubstantielles, l’influence de la France dans le chaos du monde et la réorientation des politiques européennes en matière de concurrence, de commerce, de gestion des mouvements migratoires, de défense.

Il n’est pas dit que l’élection qui vient nous condamne à devoir subir les comportements les plus violents et les propositions les plus indigentes. Il nous revient collectivement d’y veiller. Faire vivre la République est le devoir des candidats, c’est aussi celui des citoyens. Il appartient à chacun de nous, qui a au cœur l’amour de notre pays, de participer à un sursaut salutaire, à un sursaut républicain pour dire avec force l’ardent refus de l’abaissement et nous souvenir ensemble que la plus belle identité de la France est d’être avant tout une idée. Une idée dont la force fut à l’origine d’une ambition universelle.”

Le JDD, 9 octobre 2021

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