Ceci n’est pas un misogyne, par Éloïse Lenesley

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Savez-vous pourquoi on trouve peu de filles dans les filières d’excellence ? C’est parce que « dès l’utérus, la gestation, il y a des bombardements d’hormones qui différencient les garçons des filles » et que « dans les prépas, c’est très dur, c’est la guerre, et les filles n’ont pas envie de faire la guerre ! » Non, ce n’est pas Donald Trump qui parle mais Éric Zemmour, à la quatorzième minute d’un débat houleux dans l’émission Ça se dispute en 2014. Essayez de lui expliquer que, pendant des lustres, les femmes ont pâti d’une éducation qui les décourageait de poursuivre des études, il n’en a cure et reste enferré dans des certitudes pseudo-scientifiques dont sont généralement friands les sites de désinformation extrémistes pour tenter de manipuler les masses.

Tout aussi fantaisistes sont ses allégations sur L’IVG, à laquelle il est résolument défavorable. Bien sûr, il jure aujourd’hui ses grands dieux que jamais ne lui viendrait l’idée de toucher à la loi Veil si son destin français le propulsait à l’Élysée, alors qu’il prétendait l’inverse un an plus tôt : l’avortement devrait « être une exception pour des circonstances exceptionnelles » et non un « droit quasi-constitutionnel », rabâchait-t-il en avril 2020 sur CNews, persuadé de longue date que, depuis sa légalisation, celui-ci a empêché la naissance de sept ou huit millions de Français, rien que ça. Inoxydable mauvaise foi de ceux qui feignent de ne pas comprendre que, d’une part, les avortements clandestins étaient encore plus nombreux autrefois (un article de L’Obs de 1965 indiquait des chiffres allant de 800 000 à 1,2 million par an, tandis que Simone Veil les estimait à trois cent mille dans son mémorable discours de 1974) et, d’autre part, que l’IVG ne fait que différer une grossesse : la majorité des femmes qui y ont recours mettront au monde des enfants plus tard. En France, seules 13,5 % de celles nées en 1965 n’en ont pas. On rappellera la fameuse phrase du général de Gaulle lorsqu’il apporta son soutien à la loi Neuwirth en faveur de la contraception : « Transmettre la vie, c’est important ! Il faut que ce soit un acte lucide ». À des années-lumière de cette clairvoyance, Éric Zemmour ne fait, lui, que perpétuer un bon vieux sophisme d’extrême-droite insinuant que l’IVG porterait une lourde part de responsabilité dans la disparition programmée de la population européenne.

Faudrait-il donc, en suivant la logique étrange du polémiste, pondre pour la patrie, se forcer à garder une progéniture non désirée ? Parlez-lui des enfants battus, il reste aussi froid qu’un rayon surgelés Picard. Le nombre de gosses maltraités en France ? Il n’en sait rien, et puis d’abord ça a toujours existé, rétorque-t-il à Laurence Ferrari. Seule lui importe l’impérieuse nécessité de les élever dans des familles hétérosexuelles à l’abri des théories du genre. Perclus dans son idéologie, Éric Zemmour ne semble guère se soucier du bien-être et de l’épanouissement de l’individu, qu’il réifie au fil de discours déshumanisés. Mais il est vrai que l’empathie, c’est un truc de gonzesse. « Le consensus, la tolérance, la paix, le dialogue, la précaution », c’est juste bon pour cette « société féminisée » qu’il exècre. Le sexisme ? Un « délire féministe ». Les machos ? Un mot inventé par l’extrême-gauche « qui veut faire passer un comportement classiquement masculin pour une infamie. » Car l’homme n’est-il pas d’abord « un prédateur sexuel, un conquérant », pour lequel « la virilité va de pair avec la violence » ? Selon lui, le mouvement MeToo s’apparente à de la délation ; la parole des femmes n’a pas besoin d’être libérée. Surtout contre lui ?

C’était tellement mieux avant, quand « un jeune chauffeur de bus pouvait glisser une main concupiscente sur un charmant fessier féminin sans que la jeune femme porte plainte pour harcèlement sexuel ». De nos jours, on a même l’outrecuidance d’interpeller des politiciens accusés de viol. Tout fout l’camp. Pour lui, l’arrestation de DSK symbolise « la castration de tous les hommes français. » La mise en examen de Tariq Ramadan le consterne tout autant, d’ailleurs il est « convaincu qu’il est tombé dans un piège ». Toutes des salopes. « Le pouvoir attire les femmes, c’est comme ça, c’est dans leur cerveau ​archaïque », nous explique-t-il. Il les attire mais elles ne l’incarnent pas : « c’est comme ça, le pouvoir s’évapore dès qu’elles arrivent ». La preuve, celles qui parviennent à entrer à l’Assemblée, ce sont « les amies, les femmes, les maîtresses ». Les pistonnées de la promotion canapé, quoi. Et de toute façon, « Quand les femmes arrivent en masse dans une profession, la profession se prolétarise. » Nulles, on vous dit. La sentence est sans appel : « les grands génies sont des hommes. Je sais que ça ne se dit pas, ce n’est pas correct mais c’est la vérité. » Bref, les greluches sont la source de tous les maux. Elles ont préféré l’amour au mariage de raison, le divorce à l’acceptation de l’adultère, alors qu’elles « devraient remercier l’homme de les tromper avec une pétasse. Ils en seront de meilleurs amants ». Il faut juste se méfier des paparazzis.

Difficile de s’expliquer l’étonnante indulgence dont a bénéficié Éric Zemmour pour les propos odieux qu’il distille depuis une quinzaine d’années à l’encontre des femmes, alors qu’il est régulièrement pris à parti sur d’autres sujets et que plusieurs de ces petites phrases ont été maintes fois relayées par les médias. Traiter Ruth Elkrief de folle ou Marlene Schiappa d’imbécile n’est pas non plus anodin et fort peu digne d’un candidat à la présidentielle. Il affirme que « celui qui veut arrêter le flux migratoire est en réalité le meilleur défenseur des femmes ». Cette hypothèse motive sans doute les électrices qui comptent lui offrir leur vote. Mais vouloir éradiquer l’obscurantisme radical de l’islamisme par un obscurantisme light de bigot national-populiste n’est certainement pas la solution pour assurer l’émancipation féminine.

« Je ne suis pas du tout misogyne, j’interdis qu’on dise ça ! », tonnait-il en 2017 face à Philippe Vandel sur l’antenne d’Europe 1. Dont acte. Appelons-le donc phallocrate, ça fera plus érudit, à défaut d’être plus acceptable.

(Les citations des propos d’Éric Zemmour sont extraites de ses livres et de ses interventions médiatiques)


Journaliste de presse, Éloïse Lenesley a notamment écrit pour les sites du Figaro, de Causeur, d’Atlantico, du HuffPost et de Contrepoints.

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10 novembre 2021 8h10

[…] pour ne pas dire grossier avec les femmes. Sur sa misogynie, lire aussi l’article intitulé “Ceci n’est pas un misogyne” signé Eloïse […]

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