Il a financé des élections, attisé des émeutes et ignoré des lois. Nous ne devons pas commettre l’erreur de jouer les gentils avec le tyran le plus riche du monde.
Elon Musk est, plus ou moins, un État voyou. Ses intentions sont égoïstes et néfastes, et les ressources dont il dispose au niveau d’un État-nation lui permettent de bafouer la loi en toute impunité. Pour replacer les choses dans leur contexte, si les dollars étaient des mètres, l’argent de Musk suffirait à l’emmener sur Mars et à le ramener, alors qu’un simple millionnaire ne pourrait faire qu’un aller-retour Paris-Amsterdam.
L’immoralité pure et simple d’une personne possédant autant de richesses est évidente pour la plupart des personnes dotées d’un minimum d’empathie. Mais lorsqu’il s’agit de Musk et des 14 autres personnes dont la fortune dépasse les 100 milliards de dollars, la moralité est presque une préoccupation secondaire. Leur richesse individuelle constitue une menace de distorsion sociale pour la démocratie, de la même manière que l’économie a toujours reconnu que les monopoles étaient dangereux pour un marché fonctionnel.
En échange d’un soutien direct de 250 millions de dollars – et de 44 milliards de dollars supplémentaires pour le contrôle de X, alias Twitter, et donc de l’algorithme à l’origine de ce que 300 millions d’utilisateurs voient sur leur timeline – Musk a été récompensé par une coprésidence. Que penser d’autre de son apparition à la réouverture de Notre-Dame, aux côtés de Donald Trump et de plusieurs chefs d’État ?
L’évaluation de X peut chuter aussi rapidement que son nombre d’utilisateurs, mais ce n’est pas le but de l’achat. X a rempli sa mission en contribuant à l’élection de Trump, une étude suggérant que l’algorithme de la plateforme a été modifié pour favoriser les utilisateurs de tendance conservatrice. Le fait que l’action Tesla ait bondi de plus de 40 % depuis l’élection n’a certainement pas grand-chose à voir avec les fondamentaux de l’entreprise, mais plutôt avec le fait que les investisseurs spéculent sur un coup de pouce sans précédent à sa fortune à venir. Tesla et SpaceX sont devenus des mastodontes grâce à des contrats et des subventions publics, et de xAI à Neuralink, ses autres entreprises devraient bénéficier de l’influence interne de Musk sur la réglementation.
Mais la ploutocratie ne suffit pas, car rien ne suffit jamais à la poignée d’hommes qui possèdent tout. Les nouvelles obsessions de Musk (au-delà de la validation et de l’affection humaine qu’il croit à tort trouver sur les médias sociaux) sont d’attaquer les fonctionnaires, de réduire les dépenses sociales et de s’en prendre aux plus vulnérables. Dans la plupart des cas, le mot « sans-abri » est un mensonge », a récemment tweeté Musk. « Il s’agit généralement d’un mot de propagande pour désigner les toxicomanes violents souffrant de graves maladies mentales.
L’interprétation la plus charitable est que Musk se situe à différents niveaux de l’échelle de Dunning Kruger. C’est un fantastique investisseur en capital-risque, dont les investissements, qui font la part belle à la science-fiction, ont produit, soyons honnêtes, des entreprises bien plus intéressantes que des produits de luxe ou de la mode rapide, par exemple. Mais cela lui a donné des ressources incalculablement plus importantes pour être un abruti sans cervelle lorsqu’il s’agit de choses telles que la géopolitique ou la manière de construire et d’organiser une société juste. L’interprétation la moins charitable – celle présentée par son ancien ami Sam Harris lors d’une récente apparition dans un podcast – est qu’il est « palpablement, visiblement dérangé … sniffant de la kétamine et tweetant à toute heure du jour et de la nuit », qu’il a été radicalisé par son propre algorithme et qu’il se présente comme Tony Stark alors qu’il est en réalité le Dr Evil.
Mais comme la ploutocratie et la poursuite d’un programme social radical aux États-Unis ne suffisent toujours pas, Musk a également jeté son dévolu sur d’autres pays. Au cours des six derniers mois, il s’en est pris à des juges italiens qui avaient bloqué un plan de détention des migrants, il a encouragé la désinformation et attisé les émeutes au Royaume-Uni, il a évoqué la possibilité d’interférer directement dans la politique électorale britannique en donnant 100 millions de dollars au parti de Nigel Farage, et il a constamment ignoré la législation européenne relative à la modération des contenus et à la désinformation sur le site X.
Lorsque des États voyous se comportent de la sorte – ingérence électorale, campagnes de désinformation active, manipulation des médias sociaux -, d’autres États les interpellent, voire leur imposent des sanctions. Musk n’est pas simplement un citoyen privé avec une opinion et un grand nombre d’adeptes. Sa richesse, le contrôle qu’il exerce sur X et sa nouvelle position au sein du gouvernement américain le placent dans une catégorie à part. Alors, comment résoudre ce genre de problème, ou du moins y répondre ?
Les autres milliardaires de Musk ont choisi la voie de l’apaisement, voire de l’enthousiasme, en se rendant en pèlerinage à Mar-a-Lago pour se prosterner devant le roi idiot et l’homme derrière le rideau. Ce n’est pas vraiment une surprise. Ce qui est plus surprenant, c’est que d’éminents journalistes et de grandes organisations médiatiques ont fait de même, alimentant la campagne de Trump pour réduire au silence et intimider par des procès, comme le dernier en date contre le Des Moines Register pour avoir publié un sondage qu’il n’aimait pas.
Le premier ministre populiste de l’Ontario, Doug Ford, a une stratégie potentiellement plus efficace pour lutter contre les intimidateurs, du moins sur le plan rhétorique. « Nous irons jusqu’à leur couper l’énergie, jusqu’au Michigan, jusqu’à l’État de New York et jusqu’au Wisconsin », a déclaré M. Ford en réponse aux railleries de M. Trump sur la possibilité de faire du Canada un 51e État et d’imposer des droits de douane. De même, lorsque le juge de la Cour suprême brésilienne Alexandre de Moraes a refusé de faire marche arrière et a traité les entreprises de Musk comme un seul univers – en gelant les actifs de Starlink et en ordonnant aux fournisseurs de télécommunications de bloquer l’accès à X – Musk a fait volte-face.
Bientôt, ce sera le tour de l’UE. Ce que l’Union doit à ses citoyens, ce n’est pas de jouer les gentils ou de se taper gentiment sur les doigts à propos des diverses violations juridiques présumées de Musk et de X qui font l’objet d’une enquête, c’est de montrer fermement et intensément que même des quantités interplanétaires de richesse ne signifient pas l’impunité, et que certaines choses – comme la démocratie – ne sont pas à vendre.
Alexander Hurst est chroniqueur au Guardian Europe.
Traduction : Murielle STENTZEL
NDLT : Le meilleur moyen de contrer Musk serait de tous quitter X mais beaucoup ne le feront pas, parce qu’ils ne veulent pas perdre leurs followers, etc etc. Cela serait pourtant un coup si son réseau perdait des millions et des millions de followers.