Un collectif de dix élus locaux socialistes, LR, Les Centristes et Horizons dénoncent ses « raisonnements simplistes » et en appellent à un sursaut populaire.
Tribune
Comme des millions de Français, nous, maires et responsables de collectivités territoriales, suivons avec attention l’amorce de ce grand moment démocratique qu’est l’élection du président de la République. Et si nos sensibilités politiques sont différentes, nous sommes aujourd’hui consternés par les débats caricaturaux qui s’étalent sous nos yeux depuis plusieurs semaines. A la tête de cette prédation médiatique, il y a le nouveau candidat de l’extrême droite, M. Zemmour, qui puise dans les écrits nationalistes de la fin du XIXe siècle des idées qu’il dit nouvelles.
Nous, maires de France, nous ne l’acceptons pas. Nous qui travaillons chaque jour au service de nos concitoyennes et concitoyens, nous connaissons les ressorts d’une angoisse qui est réelle et qui doit être prise au sérieux. Nous savons le prix du labeur et le sentiment d’abandon, parfois, face aux inégalités qui explosent, face à l’insécurité et au risque terroriste, face aux menaces comme le chômage, les fins de mois compliquées ou la dégradation de l’environnement.
Nous ne craignons aucun débat et certainement pas celui de l’identité de la France et de la maîtrise de sa politique migratoire.
Nous sommes des enfants d’Ernest Renan, lorsqu’il définissait en 1882 la nation à partir de « deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une (…). L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ».
Nous combattons ainsi sans relâche toutes les idéologies de mort, au premier rang desquelles l’islamisme radical, qui nous font tant de mal, qui attaquent la République, les droits des femmes et les droits humains.
Mais nous ne nous résignons pas à ce que le débat public soit appauvri par des propos déshonorants. Nous ne voulons pas que notre pays ait à subir, à nouveau, ce qui n’a jamais conduit à rien d’autre qu’à écraser les Français et abaisser notre pays.
« Sur le terrain plutôt que dans des dîners mondains »
Parce que nous sommes sur le terrain et non dans des dîners mondains, parce que nous sommes ancrés dans le quotidien de nos concitoyens, nous connaissons la France réelle et demandons à ce qu’on parle enfin d’elle.
La France réelle est faite d’hommes, mais aussi de femmes. De quel droit décide-t-on de piétiner notre devise républicaine et son principe d’égalité en refusant à ces dernières la possibilité même d’exercer des fonctions de responsabilité ? Il nous paraît presque insensé de devoir le rappeler : ce n’est pas la nature, ce sont des lois inégalitaires qui ont pendant des siècles empêché les femmes d’accéder à l’autonomie et à l’exercice du pouvoir. Eric Zemmour refuse sa chance à la moitié de la France. Pourquoi penser qu’il s’arrêtera là ?
La France réelle est diverse. Elle est habitée par des Français d’origine étrangère qui depuis des siècles font notre pays : Emile Zola, Léon Gambetta, Marie Curie se trouvent au Panthéon, leur sang coule dans les veines de notre histoire. La France n’a pas de prénom attitré. Parce que notre pays est en mouvement, Carla, Zinédine, Kylian sont aujourd’hui des prénoms français. C’est d’ailleurs aussi le cas d’Eric, prénom d’origine nordique qui n’apparaît dans notre pays qu’au XXe siècle.
La France réelle n’est pas la France de Vichy. Notre pays sait que Philippe Pétain l’a trahi ; la collaboration n’a pas été un bouclier mais une souillure de notre histoire. Pour nous, républicains de gauche et de droite, l’honneur de la France n’était pas à Vichy. Il était à Toulouse, où ces jeunes aux patronymes étrangers font s’abattre en 1940 sur Pétain une pluie de tracts scandant « la jeunesse de France ne veut pas du maréchal félon ». Il était à Nantes, en 1941, quand seize otages choisis par le gouvernement de Vichy sont fusillés au champ de tir du Bêle. Il était à Rennes, avec les 245 résistantes condamnées par les tribunaux d’exception du régime, incarcérées à la prison des femmes puis déportées à Ravensbrück au printemps 1944. Il était à Nancy en 1942 quand sept policiers sauvèrent 350 juifs d’une rafle. Il était à Saint-Etienne avec Lucien Neuwirth et Jean Nocher, qui publiaient les premiers journaux clandestins du groupe Espoir. Et il était bien sûr à Londres, où le général de Gaulle incarnait l’espérance en une victoire définitive de la liberté sur la barbarie.
Respecter la France réelle, c’est mener un combat républicain par un débat d’idées à la hauteur de notre pays
La volonté de M. Zemmour est très claire. Il l’a dit lui-même : son modèle, c’est 1984, de George Orwell. Il veut contrôler le passé pour contrôler les esprits. Il utilise notre histoire – en n’hésitant pas à mentir – pour revisiter les problèmes d’aujourd’hui et faire croire, impuissant sur les réponses, que les solutions sont faciles. Invoquer à tout bout de champ le passé, en le transformant à l’occasion, ne peut constituer une perspective d’avenir ! Et nous savons qu’une société de l’exclusion et de la suspicion, sans résoudre aucun de nos problèmes, conduirait vite au désordre.
Il est temps de nous réveiller collectivement. Nous appelons à un sursaut populaire. Les raisonnements simplistes et trompeurs ne sauveront personne. Respecter la France réelle, c’est mener un combat républicain par un débat d’idées à la hauteur de notre pays.
Pour que la campagne électorale ne soit pas noircie par le mensonge et l’hypocrisie. Et pour que l’élection présidentielle soit un grand événement de démocratie, qui dessine l’espoir pour la France dans toute sa diversité.
Les signataires de cette tribune sont Nathalie Appéré,maire (PS) de Rennes, Michaël Delafosse, maire (PS) de Montpellier, Mathieu Klein, maire (PS) de Nancy, Delphine Labails, maire (PS) de Périgueux, Frédéric Leturque, maire (Les Centristes) d’Arras, Jean-Luc Moudenc, maire (LR) de Toulouse, Gaël Perdriau, maire (LR) de Saint-Etienne, Arnaud Robinet, maire (Horizons) de Reims, Johanna Rolland, maire (PS) de Nantes et Catherine Vautrin, présidente (LR) du Grand Reims.