Forum de discussions
Dans la fabrique du Zemmour
Citation de Irène Delse le 15 février 2022, 19h07On sait qu'Eric Zemmour n'aime pas qu'on lui applique le terme radicalisé. Le terme lui convient pourtant parfaitement. C'est notamment le titre du livre-enquête que le journaliste Étienne Girard, du service société de L'Express, a consacré au polémiste. Un livre que ses ennemis devraient bien lire, car très révélateur.
On y apprend notamment qu'il rêve à la présidentielle depuis des années, à la fois poussé par des amis intéressés et tiré par une soif de reconnaissance sociale que rien ne semble capable de rassasier. En 2017, cependant, il confie encore à des proches qu'il ne se "sent pas prêt". On le croit aisément !
Mais deux événements cette année-là viennent précipiter les choses. D'une part, l'échec piteux de Marine Le Pen, qui désespère beaucoup de gens à la droite de la droite, d'autant plus qu'ils ont pu croire un moment que le Front National avait vraiment une chance. Il faut se rappeler que l'héritière Le Pen, qui jouait à fond la carte de la dédiabolisation, était fréquemment au-dessus de 20% dans les sondages, que ses meetings affichaient complet et que tout le monde s'attendait à ce qu'elle arrive en tête au premier tour, et que le second serait tout sauf joué d'avance. L'hypothèse de sa victoire avait fait l'objet d'une bande dessinée à succès en 2015-17, La Présidente. On sait ce qu'il en est advenu.
L'autre choc déplaisant, pour les partisans d'un conservatisme décomplexé, fut bien sûr l'élimination de François Fillon au premier tour. Gardons en tête que le plan A, en 2017, c'était le plan F comme Fillon. Tout semblait parfaitement aligné : on sortait de la présidence Hollande, les gens paraissaient las de la gauche, prêts pour une alternance. Il avait gagné haut la main la primaire de la droite, sans contestation possible. Il paraissait capable de réunir l'électorat de centre-droit, fidèle à sa famille politique, tout en mobilisant un autre électorat beaucoup plus à droite, celui de la Manif pour tous et de Sens commun, auprès de qui il fait opportunément étalage de sa foi.
Comme on le sait, cela n'a pas marché. Les révélations du Canard enchaîné ont fragilisé Fillon, fait douter jusque dans son camp. Au premier tour, une bonne partie du centre-droit opte directement pour Emmanuel Macron, tout comme les socio-démocrates abandonnent un Bernard Hamon en pleine dérive gauchiste. Le résultat figure depuis le 7 mai 2017 dans les livres d'histoire.
Pour les déçus de Fillon, le temps du remue-méninges était venu. Allaient-il faire un retour sur l'orientation très à droite de sa campagne, par exemple, réévaluer l'intérêt de s'allier avec des catholiques traditionalistes, et même intégristes ? Non, au contraire : c'est vers l'extrême-droite qu'ils regardent. C'est ainsi que Laurent Wauquiez, ancien président du parti Les Républicains, négocie avec Marion Maréchal-Le Pen et... Zemmour. Nous y voilà.
Pour Marion Maréchal et pour un certain nombre de militants nationalistes ou identitaires, l'obstacle à écarter s'appelle Marine Le Pen. Pour eux, Marine est has been, marquée par l'héritage d'échecs de la famille Le Pen, elle "gaspille" ses 20% du premier tour en étant barrée au second. Il faut donc un candidat qui puisse passer pour simplement de droite... dans une lumière favorable et en forçant sur le maquillage, mais les électeurs ne seront pas difficiles, pense-t-on : après 10 ans de Hollande, puis de Macron (qu'ils assimilent à la gauche), le besoin d'un retour à la droite devrait être invincible !
Cela semble parfait sur le papier, mais comme on verra, la réalité n'est pas si simple. D'abord, Laurent Wauquiez ne se sent pas de se présenter à la présidentielle lui-même. Après un échec aux européennes de 2019, il est peut-être devenu un peu nerveux. Marion Maréchal (qui n'aime pas qu'on rappelle ses liens avec les Le Pen), elle, est un peu trop jeune (elle est née en 1989) et a tout intérêt à accumuler de l'expérience et cultiver ses réseaux.
Cela laisse la voie libre à Zemmour, dont l'ambition se cristallise au début de 2021. La rumeur court dans le microcosme, au point qu'en février, l'institut IFOP "teste" l'hypothèse de sa candidature... Avec un résultat flatteur : 17% de voix s'il était seul candidat de l'extrême-droite. Mais le polémiste et ses amis ont bien l'intention de ne pas se cantonner à l'extrême-droite. D'abord, il passe pour cultivé, et ça compte pour le public du 16e arrondissement. Du moins, il pérore depuis 20 ans sur l'histoire et la civilisation, et personne n'écoute les spécialistes qui disent que c'est du flan...
Courant 2021, ça se met en place : le presque candidat a des relais efficaces parmi les gens du grand monde, que le discours de Z sur le "grand remplacement" exonère de leur propre tendance au séparatisme social... Un candidat populiste, anti-système, soutenu par le "1%" ? Comme tous les populistes, si on va au fond des choses.
On compte bien sûr Vincent #Bollore parmi ces amis au portefeuille d'actions bien garni. L'homme est un plan média à lui tout seul !
https://t.co/dNXhCkyCKDMais comme deux précautions valent mieux qu'une, il y a aussi l'armée de bots et les fermes à trolls du camarade Poutine... Tiens, encore un ami de Fillon ! Le monde est petit.
https://t.co/nqPZeZnPrGTout était prêt pour le blitzkrieg : lancement en fanfare du candidat, siphonnage des voix de Le Pen, puis négociations avec LR pour une fusion... Car on sait que leur but est l'"union des droites", en fait réintégrer l'ED dans la droite.
https://t.co/43wCWhcHytSpoiler : ça n'a pas marché. Et EZ est obligé de brûler certaines de ses cartouches plus tôt que prévu, comme le ralliement de MMLP, qui aurait dû venir en cerise sur le gâteau, pas pour relancer une campagne qui patinait.
On sait que la dame a des ambitions pour elle-même, et trop de galvauder en s'affichant avec quelqu'un dont elle n'est même pas sûre qu'il sera au second tour, ce n'est pas terrible...
Mais bon, il fallait bien relancer la machine : le blitzkrieg avait échoué, après une poussée initiale m, le candidat était retombé à 12%... C'est que l'électorat de Marine Le Pen, plus populaire et plus féminin, ne s'était pas reporté sur lui en masse.
Trop élitiste, sans doute, et sa misogynie n'a pas dû aider. Et puis il doit y avoir la loyauté personnelle à la candidate "historique" MLP. Comme quoi il ne suffisait pas de siffler pour rameuter ces électeurs ! Outrecuidance, danger.
Même erreur de calcul en face : EM et son parti ne sont pas des lapins de trois semaines. Ils ont vu venir la menace et cherché des ralliements à droite et au centre-droit parmi les gens que le néo-pétainisme de Z horrifie. D'Édouard Philippe à d'ex ministres de Sarkozy...
On a donc de plus en plus de gaullistes avec EM, et ce en gardant son socle au centre et au centre-gauche. La cacophonie du côté des candidats de gauche lui permettent aussi de poser au recours pour les socio-démocrates.
On est à un peu moins de deux mois du premier tour, et je ne sais pas comment tout cela évoluera, mais une chose est sûre : le plan ne se déroule pas du tout comme prévu pour l'ED. Quoi qu'ils prétendent pour donner le change.
On sait qu'Eric Zemmour n'aime pas qu'on lui applique le terme radicalisé. Le terme lui convient pourtant parfaitement. C'est notamment le titre du livre-enquête que le journaliste Étienne Girard, du service société de L'Express, a consacré au polémiste. Un livre que ses ennemis devraient bien lire, car très révélateur.
On y apprend notamment qu'il rêve à la présidentielle depuis des années, à la fois poussé par des amis intéressés et tiré par une soif de reconnaissance sociale que rien ne semble capable de rassasier. En 2017, cependant, il confie encore à des proches qu'il ne se "sent pas prêt". On le croit aisément !
Mais deux événements cette année-là viennent précipiter les choses. D'une part, l'échec piteux de Marine Le Pen, qui désespère beaucoup de gens à la droite de la droite, d'autant plus qu'ils ont pu croire un moment que le Front National avait vraiment une chance. Il faut se rappeler que l'héritière Le Pen, qui jouait à fond la carte de la dédiabolisation, était fréquemment au-dessus de 20% dans les sondages, que ses meetings affichaient complet et que tout le monde s'attendait à ce qu'elle arrive en tête au premier tour, et que le second serait tout sauf joué d'avance. L'hypothèse de sa victoire avait fait l'objet d'une bande dessinée à succès en 2015-17, La Présidente. On sait ce qu'il en est advenu.
L'autre choc déplaisant, pour les partisans d'un conservatisme décomplexé, fut bien sûr l'élimination de François Fillon au premier tour. Gardons en tête que le plan A, en 2017, c'était le plan F comme Fillon. Tout semblait parfaitement aligné : on sortait de la présidence Hollande, les gens paraissaient las de la gauche, prêts pour une alternance. Il avait gagné haut la main la primaire de la droite, sans contestation possible. Il paraissait capable de réunir l'électorat de centre-droit, fidèle à sa famille politique, tout en mobilisant un autre électorat beaucoup plus à droite, celui de la Manif pour tous et de Sens commun, auprès de qui il fait opportunément étalage de sa foi.
Comme on le sait, cela n'a pas marché. Les révélations du Canard enchaîné ont fragilisé Fillon, fait douter jusque dans son camp. Au premier tour, une bonne partie du centre-droit opte directement pour Emmanuel Macron, tout comme les socio-démocrates abandonnent un Bernard Hamon en pleine dérive gauchiste. Le résultat figure depuis le 7 mai 2017 dans les livres d'histoire.
Pour les déçus de Fillon, le temps du remue-méninges était venu. Allaient-il faire un retour sur l'orientation très à droite de sa campagne, par exemple, réévaluer l'intérêt de s'allier avec des catholiques traditionalistes, et même intégristes ? Non, au contraire : c'est vers l'extrême-droite qu'ils regardent. C'est ainsi que Laurent Wauquiez, ancien président du parti Les Républicains, négocie avec Marion Maréchal-Le Pen et... Zemmour. Nous y voilà.
Pour Marion Maréchal et pour un certain nombre de militants nationalistes ou identitaires, l'obstacle à écarter s'appelle Marine Le Pen. Pour eux, Marine est has been, marquée par l'héritage d'échecs de la famille Le Pen, elle "gaspille" ses 20% du premier tour en étant barrée au second. Il faut donc un candidat qui puisse passer pour simplement de droite... dans une lumière favorable et en forçant sur le maquillage, mais les électeurs ne seront pas difficiles, pense-t-on : après 10 ans de Hollande, puis de Macron (qu'ils assimilent à la gauche), le besoin d'un retour à la droite devrait être invincible !
Cela semble parfait sur le papier, mais comme on verra, la réalité n'est pas si simple. D'abord, Laurent Wauquiez ne se sent pas de se présenter à la présidentielle lui-même. Après un échec aux européennes de 2019, il est peut-être devenu un peu nerveux. Marion Maréchal (qui n'aime pas qu'on rappelle ses liens avec les Le Pen), elle, est un peu trop jeune (elle est née en 1989) et a tout intérêt à accumuler de l'expérience et cultiver ses réseaux.
Cela laisse la voie libre à Zemmour, dont l'ambition se cristallise au début de 2021. La rumeur court dans le microcosme, au point qu'en février, l'institut IFOP "teste" l'hypothèse de sa candidature... Avec un résultat flatteur : 17% de voix s'il était seul candidat de l'extrême-droite. Mais le polémiste et ses amis ont bien l'intention de ne pas se cantonner à l'extrême-droite. D'abord, il passe pour cultivé, et ça compte pour le public du 16e arrondissement. Du moins, il pérore depuis 20 ans sur l'histoire et la civilisation, et personne n'écoute les spécialistes qui disent que c'est du flan...
Courant 2021, ça se met en place : le presque candidat a des relais efficaces parmi les gens du grand monde, que le discours de Z sur le "grand remplacement" exonère de leur propre tendance au séparatisme social... Un candidat populiste, anti-système, soutenu par le "1%" ? Comme tous les populistes, si on va au fond des choses.
On compte bien sûr Vincent #Bollore parmi ces amis au portefeuille d'actions bien garni. L'homme est un plan média à lui tout seul !
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Mais comme deux précautions valent mieux qu'une, il y a aussi l'armée de bots et les fermes à trolls du camarade Poutine... Tiens, encore un ami de Fillon ! Le monde est petit.
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Tout était prêt pour le blitzkrieg : lancement en fanfare du candidat, siphonnage des voix de Le Pen, puis négociations avec LR pour une fusion... Car on sait que leur but est l'"union des droites", en fait réintégrer l'ED dans la droite.
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Spoiler : ça n'a pas marché. Et EZ est obligé de brûler certaines de ses cartouches plus tôt que prévu, comme le ralliement de MMLP, qui aurait dû venir en cerise sur le gâteau, pas pour relancer une campagne qui patinait.
On sait que la dame a des ambitions pour elle-même, et trop de galvauder en s'affichant avec quelqu'un dont elle n'est même pas sûre qu'il sera au second tour, ce n'est pas terrible...
Mais bon, il fallait bien relancer la machine : le blitzkrieg avait échoué, après une poussée initiale m, le candidat était retombé à 12%... C'est que l'électorat de Marine Le Pen, plus populaire et plus féminin, ne s'était pas reporté sur lui en masse.
Trop élitiste, sans doute, et sa misogynie n'a pas dû aider. Et puis il doit y avoir la loyauté personnelle à la candidate "historique" MLP. Comme quoi il ne suffisait pas de siffler pour rameuter ces électeurs ! Outrecuidance, danger.
Même erreur de calcul en face : EM et son parti ne sont pas des lapins de trois semaines. Ils ont vu venir la menace et cherché des ralliements à droite et au centre-droit parmi les gens que le néo-pétainisme de Z horrifie. D'Édouard Philippe à d'ex ministres de Sarkozy...
On a donc de plus en plus de gaullistes avec EM, et ce en gardant son socle au centre et au centre-gauche. La cacophonie du côté des candidats de gauche lui permettent aussi de poser au recours pour les socio-démocrates.
On est à un peu moins de deux mois du premier tour, et je ne sais pas comment tout cela évoluera, mais une chose est sûre : le plan ne se déroule pas du tout comme prévu pour l'ED. Quoi qu'ils prétendent pour donner le change.