Je vous traduis cet excellent article de John Lichfield. Il faut souvent lire la presse étrangère pour avoir une bonne version de ce qui se passe chez nous, vu le niveau journalistique en baisse depuis 5 ans en France, avec les journalistes ouvertement militants .
Voici donc l’article de John.
Comment le président Emmanuel Macron s'en sort il dans ses tentatives pour empêcher la guerre la plus dangereuse en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale ? Cela dépend de qui vous écoutez.
Il y avait des citations et des extraits sonores de vidéo qui suggèrent que Poutine est prêt à donner du crédit aux tentatives de Macron pour désamorcer la crise immédiate. “Je pense qu’il est tout à fait probable”, a déclaré Poutine, “que certaines des idées et suggestions (de Macron), même s’il est probablement trop tôt pour en parler, puissent faire partie de la base de nos prochaines étapes communes”.
Il y avait aussi de longs passages dans lesquels Poutine a montré le pire de lui même, belligérant, mensonger et moqueur – accusant l’Ukraine et l’OTAN de menacer la pauvre petite Russie amoureuse de la paix ou citant une chanson russe méchante sur le viol nécrophile.( NDLT : histoire d’une princesse qui se fait violer post mortem).
Le service officiel de communication de Macron a déclaré par la suite que Poutine avait promis qu’il ne prendrait aucune nouvelle “initiative militaire” et qu’il retirerait 30 000 soldats de la Biélorussie après l’achèvement des “exercices” actuels. Aucune de ces choses n’a été mentionnée lors de la conférence de presse.
Une grande partie de la couverture dans les médias anglophones de la mission de paix autoproclamée du président français semble tomber dans deux camps – autant pro-Poutine ou anti-Poutine que pro et anti-Macron. Soit ça, soit il n’y a pas de couverture du tout.
BBC Radio Four n’a pas mentionné les pourparlers Poutine-Macron ce matin. Le (London) Times a cité Boris Johnson promettant de ne pas se dérober sur l’Ukraine.
La couverture médiatique de l’événement d’hier a été dominée par la moquerie. Poutine et Macron ont été photographiés de manière absurde aux extrémités opposées d’une élégante table blanche aussi longue qu’un court de tennis. Les Russes ont déclaré que c’était pour des “raisons de santé”. Les médias sociaux ont décidé qu’il s’agissait d’une blague délibérée de Poutine. (Quelqu’un a réussi à animer l’image pour donner l’impression que les deux dirigeants étaient sur une balançoire.)
Meilleur détournement de la rencontre @Macron–#Poutine 🤣🤣🤣🤣#MacronPutinpic.twitter.com/DJcwv551bV
— Antoine Llorca (@antoinellorca) February 7, 2022
Doit-on prendre au sérieux les efforts de Macron pour empêcher une guerre russo-ukrainienne ? Cherche-t-il, comme le suggèrent les détracteurs de Macron, un gain personnel ou électoral éphémère ? Sape-t-il la solidarité de l’Occident en cherchant même des moyens de pacifier Vladimir Poutine ?
Une partie de la couverture dans les médias anglophones a été trompeuse. Il ne s’agit pas d’une mission impulsive et solitaire. Avant de partir pour Moscou, Macron s’est entretenu (à deux reprises) avec le président Joe Biden, avec Boris Johnson, le chancelier allemand Olaf Scholz et les dirigeants de la plupart des nations européennes aux frontières russes.
Il s’adressera longuement au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, mardi. Une partie de la couverture anglo-saxonne de la conférence de presse d’hier soir s’est plainte que Macron n’ait pas repoussé la présentation mensongère et unilatérale de Poutine sur les origines de la crise.
Ce n’est pas le cas. Macron s’est mis en quatre pour louer le “sang-froid” et le bon sens du président ukrainien. Il a souligné que le fait d’avoir 130 000 soldats russes massés à la frontière rendrait n’importe quel pays “nerveux”.
Il a défendu le rejet par l’Occident de la demande maximaliste de Poutine selon laquelle l’Ukraine devrait être définitivement exclue de l’OTAN. Il a également rejeté la demande de Poutine selon laquelle l’admission d’anciens satellites soviétiques dans l’alliance occidentale il y a plus de deux décennies devrait, en fait, être annulée.
Alors, de quoi reste-t-il à parler ? Beaucoup de choses complexes que je ne détaillerai pas. Mais la mission de paix de Macron semble avoir trois objectifs principaux.
Premièrement, désamorcer la tension immédiate et empêcher une guerre, délibérée ou accidentelle. Il reste à voir si les promesses de Poutine sur les mouvements de troupes hier sont un pas dans cette direction.
Deuxièmement, relancer les pourparlers sur un règlement plus permanent du différend concernant les parties orientales de l’Ukraine – principalement le Donbass – qui sont contrôlées par les forces locales pro-russes et de facto par la Russie. Le forum russo-ukrainien-germano-français pour ces pourparlers, inventé sur les plages du débarquement en juin 2014, a été relancé ces derniers jours à l’instigation de Macron (et avec la bénédiction des États-Unis). Mais Poutine – mauvais signe ? – semble avoir refusé hier d’accepter d’assister à un sommet des dirigeants dans ce soi-disant “Format Normandie”.
Troisièmement, engager Moscou dans un long – de préférence très long – processus de négociation sur de nouveaux arrangements sécuritaires pour l’ensemble de l’Europe. Cela n’abolirait pas l’OTAN, mais tenterait de détourner Poutine de son obsession de la guerre froide.
Comment cela fonctionnerait n’est pas clair; peut-être que ça ne peut pas marcher. Cela signifierait, selon Macron, une plus grande implication de l’Union européenne dans les questions de sécurité. Cela rend certains à Washington, à Londres et en Europe de l’Est, méfiants à l’égard des motivations de Macron.
Assez juste. Mais la crise ukrainienne a également révélé les contradictions et les absurdités de la situation sécuritaire actuelle. Une partie des médias et de l’opinion politique aux États-Unis et en Grande-Bretagne semblent vouloir une confrontation avec la Russie, mais ne s’engagera pas à une intervention militaire pour aider l’Ukraine.
Comme l’a dit hier l’ancien ambassadeur de France à l’ONU et à Washington, Gérard Araud, il y a beaucoup d’anti-russes qui sont prêts à « se battre jusqu’au dernier Ukrainien ».
Macron exploite-t-il aussi la crise à son avantage ?
Il ne fait aucun doute qu’une mission de paix réussie l’aiderait lors des élections d’avril. Il n’y aura peut-être pas trop d’inconvénients s’il est perçu comme ayant essayé et échoué. Mais les actions de Macron n’auraient pas été différentes si les élections françaises avaient eu lieu dans deux ans, plutôt que dans deux mois.
Je pense que nous devrions tous lui souhaiter bonne chance. Mieux vaut le brouillard de la paix (pourparlers) que le brouillard de la guerre.
OPINION: Macron’s Russian peace mission is genuine and we should wish him well