Laure Daussy : Zemmour, misogyne et fier de l’être

Introduction

Cet article publié par Charlie Hebdo est un réquisitoire aussi complet qu’implacable sur une autre face sombre d’Éric Zemmour : il n’y a rien à y ajouter, sinon que c’est un délice de le lire et qu’il était dommage de ne pas le publier en entier. Le lien sur l’article original figure bien sûr à la fin.

Juste un mot à propos de l’illustration : elle est comme un clin d’œil au psychorigide misogyne qui voudrait tant reléguer les femmes aux tâches domestiques : Superwoman, redoutable guerrière, pourrait l’envoyer au tapis, surtout que physiquement il ne peut guère faire illusion face à elle. Mais mon clin d’œil ne s’arrête pas là. Cette photo présente une des dernières et célèbres actrices ayant tenu le rôle, l’israélienne Gal Gadot ; cela ne devrait pas lui faire plaisir, alors qu’il a tant de mal avec sa judéité et de gêne à exprimer le moindre lien avec l’Etat hébreu. Dernière claque symbolique à Zemmour, on reconnaitra en arrière-plan le Capitole de Washington, capitale des Etats-Unis tellement détestés par celui qui voudrait devenir Président : fermez le ban, et bonne lecture.
Jean Corcos

 

On sait que Zemmour a été poursuivi plusieurs fois pour provocation à la haine raciale. Mais on oublie souvent qu’il plonge aussi dans le sexisme le plus crasse. C’est un misogyne revendiqué. À l’heure où il sort un nouveau livre, on s’est infligé l’une de ses anciennes publications, «Le premier sexe», ode à une virilité tout droit sortie de l’époque de l’homme de Cro-Magnon.

C’est par la misogynie que Zemmour a construit son personnage médiatique. En 2006, il publie Le Premier sexe, (Éditions Denoël), livre qui l’a fait connaître dans les médias. Le titre fait bien sûr écho au Deuxième sexe de Beauvoir, mais le livre de Zemmour qui enchaîne les poncifs fait bien pâle figure à côté de celui de la philosophe. C’est intéressant en tout cas de se plonger dans ce pamphlet pour comprendre jusqu’où va son apologie d’une virilité archaïque, et ce que serait donc son programme en matière d’Inégalités femmes/hommes. Zemmour présente son livre comme « un traité de savoir-vivre viril à l’usage de jeunes générations féminisées  ». Sa vision des hommes et des femmes est totalement essentialiste, chacun est enfermé dans des rôles soi-disant naturels et totalement stéréotypés. Si le monde va mal, c’est parce que la virilité se perd, dit-il, et que la société se féminise.

Ainsi, il se désole que les hommes achètent de plus en plus de cosmétiques, et se rendent de plus en plus… chez le coiffeur. Alors que les poils, ma bonne dame, c’est ça la virilité. « Le poil est une trace, un marqueur, un symbole. De notre passé d’homme des cavernes, de notre bestialité, de notre virilité, il nous rappelle que la virilité va de pair avec la violence, que l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant, » écrit-il. Voilà son modèle d’homme: forcément violent. « Un garçon, ça va, ça vient, ça entreprend, ça assaille et ça conquiert, ça n’a pas de forteresses imprenables, mais seulement mal assiégées » écrit-il encore, justifiant ainsi par la même occasion les violences sexuelles.

Il propose tout au long du livre une vision tout à fait caricaturale de la sexualité et des différences hommes-femmes : pour lui, les hommes sont menés par leurs pulsions, tandis que les femmes ne sont qu’objets de désir, jamais intéressées par la sexualité, petits êtres fragiles qui cherchent désespérément l’Amour et le mariage. Sans surprise, il fait aussi l’éloge de la prostitution – il avait d’ailleurs signé la pétition intitulée « Touche pas à ma pute » contre la pénalisation des clients. Il brocarde même les différentes lois contre le harcèlement sexuel.

D’ailleurs, dans son autre livre, un Suicide français, (paru en 2014), il persiste et va un peu plus loin dans l’apologie des violences sexuelles. « Avant le féminisme, un jeune chauffeur de bus  » pouvait « glisser une main concupiscente sur un charmant fessier féminin  » sans que «  la jeune femme porte plainte pour harcèlement sexuel » écrit-il. Une main au cul, ce n’est pas du harcèlement, d’ailleurs, mais bel et bien une agression sexuelle. Comment être surpris dès lors qu’il soit lui-même accusé de violences sexuelles ? Une élue PS, Gaelle Lenfant, a témoigné récemment s’être souvenue que Zemmour l’avait embrassée de force au début des années 2000. Huit autres témoignages sont parus dans Médiapart en mai dernier, d’anciennes étudiantes, maquilleuses ou stagiaires qu’il aurait agressées sexuellement.

Ses propos sur les LGBT sont tout aussi délirants. Dans Le Premier sexe, il fustige une alliance entre gays et femmes pour féminiser la société. Pire : dorénavant, ce sont les gays qui sont devenus les modèles des hommes. Ce passage se passe de commentaire : « Dans les comédies homosexuelles lourdingues, c’était la tante qui imitait le camionneur. Désormais, c’est le camionneur qui prend des leçons auprès de la tante. Des homosexuels qui apprennent à un homme à aimer une femme ! »

Toute cette catastrophe vient d’une seule cause à ses yeux : le féminisme ! « Le féminisme est une machine à fabriquer du même  » écrit-il en 2006. Impossible donc, dans sa tête de misogyne de penser égalité et émancipation sans y voir une uniformisation. «  Tout le travail des féministes et des militants homosexuels consiste à dénaturaliser la différence des sexes, à montrer leur caractère exclusivement culturel et donc artificiel, des attributs traditionnellement virils et féminins ». Il s’oppose même à la mixité : « La mixité généralisée de tous les espaces (jusqu’aux stades de football), mais surtout à l’école, anesthésie la virilité des petits hommes qui ont besoin de s’arracher à leur mère (…) Nous vivons dans une époque de mixité totalitaire, castratrice. » Bref, à le lire, quand il croise une femme, Zemmour doit avoir peur.

Avançons dans le livre. Il s’offusque de jeunes couples puissent baiser chez leurs parents. Ce passage pourrait être un pastiche de discours de vieux con : « Ils dorment chez papa-maman. Jadis, on n’aurait jamais osé « faire ça » dans le domicile familial. C’était sacré. Mais il n’y a plus de différence entre le sacré et le profane. L’Amour est le sacré de l’époque. (…) le chef de meute, le père, se voulait la puissance, le seul pénis bandant, le seul phallus de la maison. C’était la loi du père, qui obligeait le fils à aller bander et baiser ailleurs ».

Il s’en prend aussi aux nouveaux pères… Dans sa vision des rôles impartis, pour lui, un homme un vrai, ça ne s’occupe pas de son enfant…Voilà ce qu’il écrit : « Les hommes assistent à l’accouchement de leur femme, sont même présents aux séances d’accouchement sans douleur. ( ..) Les hommes modernes sont des papas poules qui langent, maternent, donnent le biberon. Ils veulent être porteurs eux aussi de l’amour et non plus de la Loi. Être des mères et non plus des pères. Des femmes, et plus des hommes. »

Il établit même un lien avec l’apparition du « divorce de masse », qui serait consécutif à cette « féminisation » des hommes, alors que l’on sait que 80% des tâches ménagères sont encore effectuées par les femmes, et que c’est plutôt ça qui pourrait être une cause de divorce… Le divorce lui-même serait un produit du féminisme, selon son analyse, car les hommes s’accommodaient bien d’avoir une maîtresse sans jamais divorcer, ce sont les femmes et elles seules qui rêvent d’une nouvelle vie… Il fait l’éloge de Napoléon et de son code civil qui avait considérablement restreint la possibilité de divorcer, tout comme les droits des femmes d’ailleurs.

Quant à la contraception et l’avortement, ils sont les prémices de la fin de tout. « Depuis trente ans, on s’extasie sur la maîtrise parfaite, entre contraception et avortement, de la fécondité des femmes. On ne dit jamais que la fin de cette histoire est funeste, qu’elle se conjugue justement avec la fin de l’histoire, avec la fin programmée des peuples européens. » Zemmour en profite pour glisser son idée de « grand remplacement », et poursuit : « Tout s’est passé comme si les hommes français et européens, ayant posé leur phallus à terre, ne pouvant ou ne voulant plus féconder leurs femmes devenues rétives, avaient appelé au secours leurs anciens « domestiques » qu’ils avaient émancipés. »

Ce florilège de sexisme, il le poursuit sur les plateaux télés. Ainsi, sur le plateau de BFM-TV en 2013 : « Les femmes n’expriment pas le pouvoir, elles ne l’incarnent pas. C’est comme ça. Le pouvoir s’évapore quand elles arrivent. »  Cela pourrait être comique quand on constate combien il ne supporte pas lui-même d’être dirigé par une femme. Ainsi, dans une enquête qui lui est consacrée dans l’Express, la journaliste Virginie le Guay, qui travaillait avec lui au Quotidien de Paris à ses débuts, le décrit comme un jeune homme « assez mal à l’aise avec les femmes ». « C’était comme s’il les craignait, il lui fallait les dominer intellectuellement pour se sentir fort. Il avait besoin de susciter l’admiration, voire la crainte. » Et quand une femme est pressentie pour devenir chef du service politique dans lequel il travaille, Éric Zemmour lâche : « Je ne sais pas si je pourrais supporter d’avoir une femme chef. »

Interviewé sur certains de ces pires propos dans l’émission On est en direct sur France 2 par Léa Salamé samedi dernier, il n’a même pas cherché à prendre ses distances, il persiste et signe. Ceux et même celles qui le soutiennent ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

Laure Daussy

Source : Article de CharlieHebdo.fr,  17 septembre 2021

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