Les mensonges
d’Eric Zemmour,
12 février 2022

Extrait d’un très long article de « L’Obs », réunissant 22 réponses à donner à 22 mensonges d’Eric Zemmour (suite).

Le polémiste est désormais « la » figure de l’atmosphère trumpienne de la présidentielle. Cela fait longtemps déjà qu’il a adopté le concept des « faits alternatifs » inventé par l’entourage de l’ancien président américain. (…

  • « Vouloir la remigration, ce n’est pas être raciste, c’est considérer qu’il y a trop d’immigrés en France, que ça pose un vrai problème d’équilibre démographique et identitaire, que l’identité de la France est en danger. C’est dire : voilà, on va renvoyer les immigrés qui ne s’assimilent pas. C’est ce qu’a fait la France pendant un siècle. […] Dans les années 1930, on renvoie des immigrés italiens et polonais car ils sont au chômage et qu’ils ne s’assimilent pas. C’est la gauche qui fait ça. Ils ne sont pas racistes. C’est Léon Blum. » « Face à l’info », CNews, 27 janvier 2021.

« Dire que la France “pendant un siècle” aurait “renvoyé les immigrés qui ne s’assimilent pas” n’a aucun sens parce qu’il y a un siècle, nous étions dans les années 1920 et, au cours de cette décennie, la France a fait venir plusieurs millions d’immigrants pour reconstruire son économie, explique l’historien spécialiste de l’immigration Gérard Noiriel. En 1930, le taux d’immigration de la France était supérieur à celui des Etats-Unis [2 890 000 étrangers en France, soit 5,9 % de la population totale, NDLR]. La crise des années 1930 a provoqué un arrêt de l’immigration et le retour au pays de plusieurs centaines de milliers d’entre eux. Les uns sont rentrés spontanément, les autres ont été renvoyés parce que le gouvernement français n’a pas renouvelé leur carte de séjour. Mais accuser la gauche et Léon Blum d’être les principaux responsables de cette politique xénophobe est faux. C’est au début des années 1930, quand la droite était au pouvoir, que ces expulsions ont été les plus massives ; alors que la gauche (dont beaucoup de dirigeants militaient à la Ligue des Droits de l’Homme) les condamnait. Non seulement ce n’est pas Léon Blum qui a “fait” cette politique d’expulsion, mais, à l’inverse, le Front populaire a pris des mesures pour limiter le renvoi des immigrés et combattre les expulsions arbitraires. La gauche a permis aussi à des dizaines de milliers de réfugiés fuyant le nazisme d’être accueillis en France. » En 1939, fuyant la répression franquiste, 500 000 républicains espagnols ont passé la frontière et ont été installés dans les camps de Gurs, du Vernet et d’Argelès-sur-Mer.

Le renvoi des étrangers se fait essentiellement dans la première moitié des années 1930. La loi n’est pas modifiée, mais une pression s’exerce sur les entreprises, les agents du contrôle des étrangers et les immigrés. A partir de 1931, la France participe au financement du voyage de retour des étrangers qui veulent partir et encourage les grandes entreprises à licencier en priorité les travailleurs étrangers et à assurer leur rapatriement, comme ce sera le cas de milliers de travailleurs polonais employés par les charbonnages du nord de la France. Mais, écrit l’historien Philippe Rygiel dans « les Etrangers au temps de l’exposition coloniale » (Gallimard/CNHI), « il est particulièrement difficile de distinguer les départs contraints des départs volontaires d’immigrants que la dégradation de la situation économique conduit à quitter la France, l’effet de la nécessité économique et celui de l’étranglement administratif. De même les décisions administratives (refoulements et expulsions) ne se traduisent pas toujours par une sortie du territoire à bref délai. Concluons alors que l’action de l’état a accompagné et amplifié, sans que nous puissions établir dans quelles proportions, une vague de départs qui fut massive, 93 000 sorties du territoire sont enregistrées en 1931 et 108 000 en 1932 ».

  • « Sur les 14 millions [de Français, NDLR] qui touchent une retraite, il y a 50 % de gens nés à l’étranger. » « Face à l’info », CNews, 23 octobre 2020.

Selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), le chiffre est de 18 % et comprend aussi les Français nés à l’étranger.

  • Les mineurs isolés « n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont ! Il faut les renvoyer et il ne faut même pas qu’ils viennent ! ». « Face à l’info », CNews, 29 septembre 2020.

A l’occasion d’une audition à l’Assemblée nationale, l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) a rédigé une note qui portait notamment sur les faits de délinquance concernant les mineurs non accompagnés (MNA), jeunes étrangers ou migrants âgés de moins de 18 ans et qui ne sont sous l’autorité ni de leur père, ni de leur mère, ni d’aucun adulte. L’Observatoire a souligné « l’absence de statistiques fiables » sur le sujet. En septembre 2020, la Mission mineurs non accompagnés (MMNA) de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse estimait entre 2 000 et 3 000 les mineurs isolés étrangers délinquants, soit environ 10 % des MNA, « sans que cette estimation puisse réellement faire l’objet d’une vérification ». Le chiffre serait en augmentation, mais très éloigné du « c’est tout ce qu’ils sont ! » d’Eric Zemmour.

Sur les 16 760 jeunes enregistrés en 2019, 95 % étaient des garçons, 61 % venaient de Guinée, Mali et Côte d’Ivoire et 10,6 % du Maghreb. Ils représentaient 15 % à 20 % de l’effectif de la prise en charge des services de la protection de l’enfance. La mission précisait dans son rapport 2019 que les mineurs isolés « pris en charge dans un cadre pénal présentent un état de santé physique et/ou psychique très dégradé (traumatismes, conduites addictives, maladies…) » avec « une recrudescence des actes autoagressifs (automutilation, tentative de suicide, suicide…) » lorsqu’ils sont poursuivis dans un cadre pénal. Le rapport concluait : « Ce sont des enfants comme les autres. Notre attention à leur égard ne doit pas être défaillante au risque de voir durablement ébranlés les principes et fondements de non-discrimination, et de droit à la dignité auxquels nos institutions sont attachées.

A la suite de la déclaration d’Eric Zemmour, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « provocation à la haine raciale » et « injures publiques à caractère raciste ». Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), gendarme des ondes, a sanctionné CNews d’une amende de 200 000 euros pour « incitation à la haine » et « à la violence ».

Nathalie Funès et Paul Lonceint
Source : L’Obs, 18 septembre 2021
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