Les “faits alternatifs” ou le mensonge radicalisé

Il y a toujours eu de la propagande en politique, des mensonges stratégiques pour exagérer ou minimiser telle ou telle question sociale ou économique. Les opposants montent en épingle les mauvais chiffres, le gouvernement met en avant les bons. C’est déjà dangereux quand les chiffres sont sortis du contexte et manipulés. Mais au moins il existe une réalité de consensus, une base objective indépendante des idéologies. Des vérités du type deux et deux font quatre.

Mais avec ce qu’on appelle les “faits alternatifs”, on passe dans une autre dimension. Il faut écouter Thomas Huchon, qui en une minute trente (sur Europe 1, le 10/02/2022) explique d’où est venu ce concept toxique…

 

Il venait présenter le livre (co-écrit avec Jean-Bernard Schmidt) Anti Fake News, dont le titre fait aussi référence au vocabulaire de Donald J. Trump. Tout le long de sa présidence, celui-ci n’a en effet cessé d’attaquer non pas juste les normes démocratiques, mais celles de la plus basique réalité.

Il suffit pourtant de regarder la fameuse photo de la capitale américaine le jour de l’inauguration de Trump, le 20 janvier 2017, en haut de cette page, et la comparer avec la même rue, sous le même angle, le jour de l’inauguration de Barack Obama, en 2009.

Il n’y a pas besoin de compter les têtes pour voir que la foule est bien plus massive sur la seconde photo. Mais la rhétorique de Trump exprime plus que la simple négation de la réalité : elle exige, comme test de loyauté, que les adhérents nient le témoignage de leurs propres yeux.

C’est le genre de message que seuls les régimes totalitaires propagent, normalement. Trump n’est pas allé jusque là, sans doute par paresse ou manque de construction idéologique cohérente. Mais c’est la logique qui faisait baptiser “démocraties populaires” les dictatures communistes, par exemple.

Et c’est selon la même logique que Jean-Luc Mélenchon accuse l’OTAN de “faire monter la tension en Ukraine” alors que c’est la Russie qui masse des troupes à la frontière ; ou que Marine Le Pen essaie de faire croire qu’il y a un front commun entre les partis nationalistes en Europe, alors qu’ils sont divisés sur des questions d’intérêt… national, notamment les liens avec la Russie. L’attitude pro-Poutine du RN n’étant pas du tout partagée par le PIS polonais, on s’en doute. Même logique toxique quand Zemmour falsifie l’histoire malgré les mises au point répétées des historiens.

Ce n’est plus seulement de vérification des faits qu’on a besoin, même si c’est nécessaire, mais de sursaut des consciences, d’une insurrection de la raison, quelle que soit notre famille politique, devant des mouvements qui nous demandent non pas juste une adhésion à leur projet, mais de nous faire rejeter le témoignage de nos yeux et de nos oreilles.

“Et cependant, il était dans le vrai. Le Parti se trompait et lui était dans le vrai. L’évidence, le sens commun, la vérité, devaient être défendus. Les truismes sont vrais. Il fallait s’appuyer dessus. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau humide, et les objets qu’on laisse tomber se dirigent vers le centre de la terre.” George Orwell, 1984, chap. VII

Une boussole toujours précieuse dans ces temps troublés.

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