Extrait d’un très long article de « L’Obs », réunissant 22 réponses à donner à 22 mensonges d’Eric Zemmour (suite et fin).
Le polémiste est désormais « la » figure de l’atmosphère trumpienne de la présidentielle. Cela fait longtemps déjà qu’il a adopté le concept des « faits alternatifs » inventé par l’entourage de l’ancien président américain. (…)
- « Le 18e arrondissement de Paris, c’est devenu Dakar, y’a plus un Blanc. » Propos tenus lors d’un débat à Marseille avec Stéphane Ravier, sénateur du Rassemblement national (RN), et diffusés par « Quotidien » (TMC), 18 avril 2019.
Il n’existe pas de statistiques ethniques en France. Il est donc impossible d’établir la proportion de Français non « blancs » dans le 18e arrondissement de Paris, uniquement celle des étrangers et des immigrés. Cet arrondissement du nord de la capitale dispose, d’après l’Insee, de davantage d’habitants issus des classes aisées que la moyenne française : 27,9 % de cadres et professions intellectuelles supérieures, 57,3 % de diplômés de l’enseignement supérieur, 64 % de ménages fiscaux imposables… Le recensement de la population de 2018 indique que 17 % de la population est de nationalité étrangère, un chiffre supérieur à la moyenne nationale, comme pour toute l’Ile-de-France, qui s’explique, notamment, par l’attractivité économique de la région. Une partie d’entre eux sont des « Blancs ». En 2013, selon l’Insee, près de quatre immigrés sur dix à Paris étaient des ressortissants de l’Union européenne, deux fois plus que les arrivants d’Asie ou d’Afrique du Nord. Entre 2008 et 2013, la part des nationalités de l’Union européenne à Paris était en progression (de 29 % à 37 % de l’ensemble des nationalités étrangères), tandis que celle de l’ensemble des nationalités africaines était en baisse (de 34 % à 25 %).
- « J’étais scandalisé par le comportement d’Emmanuel Macron. Je pense que ce monsieur Audin, mort dans des conditions tragiques […], était un traître et méritait 12 balles dans la peau. C’était un type qui était contre la France, qui aidait le FLN, qui aidait à tuer des Français. » « L’Opinion », 18 septembre 2018.
Eric Zemmour est sur la même ligne que Marine Le Pen, vis-à-vis de la décision d’Emmanuel Macron en septembre 2018 de reconnaître la responsabilité de la France dans la mort du militant indépendantiste Maurice Audin lors de la guerre d’Algérie. Et comme la présidente du Rassemblement national (RN, ex-Front national), il « refait » l’histoire de la guerre d’Algérie. Le mathématicien et membre du Parti communiste algérien (PCA), engagé pour l’indépendance, est arrêté le 11 juin 1957, pendant la bataille d’Alger, par les parachutistes de Massu, torturé au centre de tri et de transit d’El Biar et fait partie des milliers de disparus de la guerre d’Algérie. Après des décennies d’une version officielle évoquant une « évasion », Emmanuel Macron a reconnu que le jeune père de famille de 25 ans avait « été torturé puis exécuté ou torturé à mort ». Maurice Audin n’a en fait « jamais aidé à tuer des Français », comme l’affirme Eric Zemmour. Il était chargé des activités de propagande et de cacher des membres du PCA, dissous en 1955 par les pouvoirs publics. « Ce qu’a fait concrètement Maurice Audin, c’est héberger des membres de la direction du PCA, pas du tout des poseurs de bombe, pas du tout non plus des membres du FLN. C’étaient des gens qui étaient favorables à l’indépendance, lui n’a jamais pris d’arme », avait précisé à l’AFP l’historien François-René Julliard, au moment de la déclaration d’Eric Zemmour. Pendant la guerre d’Algérie, les « Français » qui ont tué le plus de « Français » sont les membres de l’OAS (Organisation armée secrète), un mouvement politico-militaire clandestin proche de l’extrême droite qui a été créé en février 1961 pour défendre le maintien de la présence française en Algérie. Les représentants de l’Etat, militaires, policiers, fonctionnaires, étaient les premiers visés. Le général de Gaulle était la bête noire des pro-Algérie française.
- « Normalement, chez moi, en tout cas depuis une loi de Bonaparte qui a malheureusement été abolie en 1993 par les socialistes, on doit donner des prénoms dans ce qu’on appelle le calendrier, c’est-à-dire les saints chrétiens […]. Votre mère a eu tort de vous appeler [Hapsatou, NDLR] […]. Corinne, ça vous irait très bien. » « Les Terriens du dimanche ! », C8, dialogue avec la chroniqueuse Hapsatou Sy, 16 septembre 2018.
Sous le Consulat, la loi du 11 germinal de l’an XI (1er avril 1803) réglemente le choix des prénoms parmi « les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne ». Mais il n’est fait nulle part mention du seul calendrier des saints. La loi a ensuite connu plusieurs modifications. Sous la Ve République et la présidence du général de Gaulle, en 1966, il est stipulé que « les enfants français doivent, normalement, recevoir des prénoms français ». Quelques prénoms étrangers sont acceptés, ainsi que « des prénoms coraniques pour les enfants de Français musulmans ». La loi de janvier 1993, sous le deuxième septennat de François Mitterrand, libéralise le choix des prénoms, dans la mesure où ils ne portent préjudice ni au droit des tiers ni à l’enfant.
- « La culture grecque, c’est l’Europe. » Dans « Destin français. Quand l’histoire se venge » (Albin Michel), septembre 2018.
L’Empire byzantin, de langue et de culture principalement grecque, est apparu vers le IVe siècle dans la partie orientale de l’Empire romain qui se divisait alors en deux. Les mondes byzantins et latins sont restés largement distincts et se sont même opposés durant plusieurs siècles. Au cours de la quatrième croisade (1204-1204), les Occidentaux prennent et pillent Constantinople : les tensions sont alors vives au sein de la chrétienté, les Grecs sont perçus négativement par les Latins et vice-versa.
Le concept de l’Europe émerge seulement au XVe siècle, après la prise de Constantinople, la « capitale » de l’empire byzantin, par les troupes de Mehmed II. Il s’est développé en raison de la montée en puissance de l’Empire ottoman et de l’opposition entre l’Europe chrétienne et l’Asie musulmane. La culture grecque a également été reçue par le monde musulman. Les Grecs, avec leur langue et leur écriture, ont abordé l’Afrique du Nord par la Cyrénaïque (dans l’actuelle Libye) en 631 avant notre ère. Les ruines du temple de Zeus à Cyrène, classées au patrimoine mondial de l’Unesco, en témoignent encore. Dans la quasi-totalité des cas, l’Occident latin a redécouvert le corpus grec (les textes médicaux, scientifiques ou philosophiques, notamment Aristote) via des écrits arabes.
- « Depuis trente ans, il y a une immigration constante de population venue du sud de la Méditerranée, qui est petit à petit arrivée en France avec le regroupement familial en 1975, une grande erreur car on est passés d’une immigration de travail à une immigration de peuplement […]. Il faut arrêter le regroupement familial. » BFMTV, 13 octobre 2014.
Le regroupement familial – mesure qui permet à un étranger de faire venir son conjoint ou ses enfants en France – est autorisé depuis une ordonnance de 1945 du gouvernement provisoire du général de Gaulle. En 1976, le regroupement familial devient un droit plus systématique pour le ressortissant étranger. Il est aujourd’hui codifié au niveau européen.
Dans les années 1970, l’immigration « de travail » est effectivement freinée. Le motif familial devient plus important que l’économique. Mais cette « immigration de peuplement », pour reprendre l’expression d’Eric Zemmour, est quasi stable depuis cinq décennies. On enregistrait 81 500 titres de séjour au motif familial en 1971 et… 90 502 en 2019 (sur un total de 277 406). Le motif familial est aujourd’hui pratiquement à égalité avec le motif étudiant.