L’Internationale Réactionnaire (III) : Pologne, ou la foi au service de l’ordre.
Ah, la Pologne ! Ce pays qui fut, il n’y a pas si longtemps, l’incarnation vivante d’une démocratie renaissante, sortie des cendres du communisme par la seule force du peuple. Solidarność ? Une épopée sans armes ni sang, une levée ouvrière sans dieu officiel mais pleine d’espoir. Lech Wałęsa ? Une icône populaire, moustache au vent, qui aurait fait fuir à lui seul un Soviet à moitié endormi.
Mais nous voilà en juin 2025, et le décor a changé. La foi a repris le dessus, mais cette fois au service non de la libération, mais de l’encadrement, de la discipline, de l’uniformité morale. L’Église n’est plus dans la rue avec les travailleurs : elle est au Parlement, dans les manuels scolaires, et sur les plateaux télé, en train de réciter l’Évangile selon Saint-Kaczyński.
Derrière les cierges, les processions et les déclarations en latin de la droite dure, une ambition simple : ranger la société. En faire un chœur à l’unisson, sans voix discordante. Et pour cela, la foi est l’outil idéal. Parce qu’on ne discute pas un dogme. On l’applique. Et si possible, on le sanctuarise dans la loi.
PiS : Pas d’Identité Sans excommunication.
Même hors du pouvoir depuis 2023, le PiS (Droit et Justice) continue de distiller son encens identitaire dans tous les recoins de la société polonaise. Jarosław Kaczyński, grand prêtre de la morale rigide et patriote jusqu’aux chaussettes, rêve toujours d’une Pologne une et indivisible : blanche, catholique, et dotée d’une allergie chronique au progrès social.
Les manuels scolaires ? Réécrits comme des liturgies, où l’on apprend que la Seconde Guerre mondiale fut avant tout une épopée nationale – orchestrée par la Providence polonaise. Les musées ? Transformés en sanctuaires militaires, où les armes parlent plus que les débats, et où la critique intellectuelle est rangée au rayon “blasphèmes en série”.
Radio Maryja : Fox News en soutane.
Si le PiS est le bras politique, Radio Maryja est la voix qui murmure à l’oreille du peuple. Dirigée par le père Tadeusz Rydzyk, ce Steve Bannon en soutane, la chaîne récite chaque jour son évangile national-catholique : l’Europe est une Sodome décadente, les migrants une menace organique, et les LGBT+ une conspiration luciférienne.
Ce média, véritable Église de la peur hertzienne, bénéficie de réseaux solides aux États-Unis. Outre la Heritage Foundation, plusieurs institutions ultra-conservatrices américaines, comme Alliance Defending Freedom, Family Research Council, et The Leadership Institute, participent à l’exportation du catéchisme politique : stages pour jeunes croisés réactionnaires, fonds pour publications pieusement haineuses, conseils juridiques pour démanteler les lois sur l’avortement. Tout est bon quand il s’agit d’exporter l’Évangile selon Trump.
Varsovie-Washington : l’Axe du Salut identitaire.
Depuis la réélection de Donald Trump en 2024, les connexions entre les États-Unis et la droite polonaise se sont intensifiées. La Pologne n’est plus un satellite du conservatisme yankee : elle en est devenue l’avant-poste en Europe centrale.
La preuve ? La première CPAC organisée en Pologne, les 26 et 27 mai 2025, à Jasionka, près de Rzeszów. Une grand-messe réactionnaire où se sont succédé Kristi Noem (secrétaire à la Sécurité intérieure), Matt Schlapp (président de la CPAC) et l’indispensable John Eastman (avocat de l’Amérique pré-égalité). Tous sont venus bénir la candidature présidentielle de Karol Nawrocki, pur produit du PiS et chantre de la “civilisation chrétienne offensive”.
J’ai été frappé en lisant les déclarations de Kristi Noem, secrétaire d’État à la Sécurité intérieure des USA, lors du CPAC, « Si vous élisez un dirigeant qui collaborera avec le président Trump, le peuple polonais aura un allié solide ». Et d’ajouter« Vous continuerez à bénéficier d’une présence militaire américaine ici… et vous disposerez d’un matériel américain, de haute qualité. » Une vraie vassalisation.
Le slogan de l’événement de ce congrès réac ? “Une nation, une foi, un mur.” Le mur étant à construire contre des idées divergentes, des utérus libres et des esprits critiques.
La CPAC Pologne aura été au final un défilé de prêcheurs en veston qui, au lieu d’huile sainte, préféraient l’huile de coude pour restaurer l’ordre moral, main dans la main avec les croisés d’Orbán et les porte-flambeaux du trumpisme.
Beata Szydło : la Jeanne d’Arc du national-catholicisme.
Toujours là, plus mystique que jamais, Beata Szydło. À la CPAC de Dallas en mai dernier, elle lançait cette illumination : « L’Amérique et la Pologne sont deux ailes d’un même ange. Si l’une tombe, l’autre s’écrase. » Il faut croire que dans cette théologie, l’ange en question porte des bottes militaires et un rosaire en plastique renforcé.
En 2024, lors d’un show avec Tucker Carlson, elle affirmait que « la démocratie libérale sans valeurs chrétiennes est une maison sans fondations. » On pourrait lui répondre que « l’État sans séparation des pouvoirs est une dictature, mais avec de jolis vitraux. »
Tusk : le retour du sens, malgré les chaînes.
Depuis décembre 2023, Donald Tusk gouverne avec une coalition fragile mais déterminée. Il a restauré la confiance avec l’Union européenne, fait débloquer les fonds gelés par Bruxelles, réformé partiellement les médias publics et engagé un processus de désintoxication institutionnelle. Mais face à lui, le président Andrzej Duda, fidèle au PiS, utilise son droit de veto comme d’autres utilisent l’eau bénite : pour tout figer.
Le scrutin du jour – ce 1er juin 2025 – est donc vital. Il oppose Rafał Trzaskowski, maire de Varsovie, figure libérale, soutenu par la coalition de Tusk, à Karol Nawrocki, incarnation du repli identitaire et mascotte bénie de la CPAC. Autrement dit : un choix entre respiration et asphyxie.
La résistance ? Toujours là, mais en apnée.
Des juges, des journalistes, des femmes, des professeurs, des militants : ils continuent de se battre pour une société ouverte, dans un climat saturé d’encens et de menaces. Mais le pouvoir réactionnaire, même délogé des ministères, reste implanté dans les têtes, les écoles, les paroisses.
Et l’Union européenne, fidèle à elle-même, proteste mezzo voce, puis retourne remplir les caisses de cohésion territoriale en espérant que l’argent fera taire les sermons. (L’union Européenne a depuis l’adhésion de la Pologne en 2004, versé quelques 261 milliards d’euros de fonds européens, pour une contribution polonaise de 86 milliards d’euros au budget de l’UE, soit un retour sur investissement multiplié par trois) .
Pologne: entre démocratie et laboratoire de l’autoritarisme sanctifié.
La Pologne n’est pas seulement un objet d’étude : elle est un terrain de lutte. Donald Tusk a entamé une reconquête démocratique – même imparfaite -mais les réseaux réactionnaires sont puissants, internationaux, et organisés. Ils parlent anglais, pensent en latin, prêchent en polonais.
Le choix de ce jour est clair : soit la foi reste personnelle et la loi reste laïque, soit c’est le droit et la démocratie libre eux-mêmes qui seront mis en état de péché.
#PrayForPoland – mais pas trop fort, sinon un exorciste pourrait surgir du confessionnal.
Un focus suivra sur la Slovaquie- actuellement dirigée par des forces d’extrême droite -ainsi que sur les Pays-Bas, où des collaborations gouvernementales avec la droite radicale se multiplient. À la demande de plusieurs lecteurs je me pencherai ensuite sur la situation dans la péninsule ibérique.
Je reviendrai enfin sur la Belgique, et bien sûr sur la montée de l’extrême droite en France, dans le prolongement de ce cycle d’alerte démocratique.
Rudy Demotte
Former Minister-President of the French Community of Belgium
Former Minister-President of the French Community of Belgium