Il y a quelques temps de cela, plusieurs années pour être précis, c’est même un souvenir lointain que je dorlote parfois, comme en ce moment, je prenais le train pour me rendre à Paris depuis la Normandie où j’habitais. J’étais confortablement installé dans cet ancien espace corail où quatre personnes pouvaient se côtoyer. Les trois autres places n’étaient pas encore occupées, lorsqu’apparut dans ce que j’assimilai alors à un songe, une jeune femme voilée au visage ravissant. D’abord intimidé, alors qu’elle s’installait sur le siège d’en face, malgré que je sois stupéfait par tant de charme s’étant incarné en une seule personne, j’entrai peu à peu dans sa proche présence et commençai de m’occuper à lire, écrire ou regarder par la fenêtre du train encore en gare. Puis s’amena un couple dont les membres s’installèrent l’un près de moi, l’autre près d’elle, côté couloir. Ainsi nous nous retrouvions chacun blottis contre la vitre. Cela ne fit que renforcer ce qu’il est permis d’appeler notre intimité réciproque, mais malgré que je restais fasciné par cette agréable compagnie, je ne tournais que rarement mes yeux vers elle car elle-même n’avait jusqu’à présent porté son regard sur moi qu’une seule fois, à son arrivée.
Alors le train se mit à rouler. Comme c’est souvent le cas, chacun se détendit et nous commençâmes à nous comporter comme des étrangers l’un à l’autre mais transportés en commun. Elle percevait néanmoins que je souhaitais engager la conversation mais n’en fit rien, jusqu’à ce que nous parvenions, deux heures plus tard, à proximité de la gare Saint-Lazare. Là elle se mit à me parler et demanda ce que je faisais de mon existence. Après lui avoir succinctement répondu, elle me révéla qu’elle était étudiante, voulait se consacrer au journalisme et que l’objet de son trajet était en l’occurrence d’aller s’inscrire dans une école parisienne. Elle m’informa aussi d’en être ravie, d’autant que son père avait enfin accepté, après de longues hésitations, qu’elle prenne cette orientation, nécessitante qu’elle quitte le foyer familial, sa province et parte s’installer dans la capitale. C’est sans doute pour cette raison et la magnificence avec laquelle elle portait son voile que je lui demandai si elle était musulmane. J’eus pour réponse des paroles dont je me souviendrais toujours. En quelques phrases et parce que, dit-elle, elle pressentait que j’en ferais bon usage, elle dépeignit sa conception de l’islam. Je n’ai pas le loisir ici, par l’étroitesse littéraire d’un article de blog et son objet-même, de décrire la sérénité des mots qu’elle prononça. J’en déduisis que j’avais jusqu’alors méconnu cette religion et compris que sa substance n’était pas moins bénéfique que celle qu’on peut trouver dans d’autres cultes monothéistes. Non pas que j’en doutais auparavant, mais il faut avoir communiqué avec une personne versée dans la saveur du Coran pour percevoir cette dimension.
Longtemps plus tard, avant que je ne rencontre la femme de ma vie, je croisai l’existence d’une Indienne native de l’Île de la Réunion, avec laquelle nous fîmes ensemble un bout de chemin. Elle aussi était musulmane, avec une approche plus pragmatique de sa pratique religieuse. J’avais alors très envie d’en connaitre plus sur sa culture et me mis à lire le Coran ainsi qu’à fréquenter une mosquée. J’appris que la complexité de ce livre réside dans le fait que son texte a deux facettes distinctes, d’une poésie méconnue, sorte de Yin et de Yang au parfum moyen-oriental, justement à l’origine de cette saveur que j’évoquais précédemment.
Cette ambivalence émanant du récit des deux périodes de la vie de Mahomet, l’une à l’orientation philosophique, l’autre politique, entrelacées dans un seul ouvrage, constitue la raison pour laquelle, si l’on ne s’attache qu’à une seule de ses facettes, le texte revêt une signification sur laquelle s’est fondée, depuis le schisme entre les sunnites et les chiites, ce qui peu à peu se transformera en islamisme radical. Je n’ose imaginer ce qui se serait produit de pire dans l’histoire de l’islam, si ces deux périodes avaient été séparées plutôt qu’enchevêtrées ! Que serait-il advenu si l’être humain avait alors fait le choix de les dissocier en deux ouvrages distincts qu’on aurait pris séparément à témoin ?
Une lecture savante et non vulgaire du Coran nous apprend que ses rédacteurs ont réussi, mieux que dans aucun autre livre de ma connaissance, à prouver que l’Humanité peut engendrer des actes et des sentiments contraires les uns des autres, sans que rien ne s’oppose à ce que nous découvrions dans cette étonnante dualité l’équilibre que convoite tout un chacun.
Donc non, Zemmour, la pratique de l’islam ne conduit pas fatalement à l’islamisme, parce que ce dernier est le domaine de fous qui n’ont retenu du Coran que ses versets les plus belliqueux, au mépris de sa beauté intrinsèque, laquelle n’opère que si on lui conserve son intégralité.