Un moment de grande opportunité et de grand risque pour Marine Le Pen

Soutenir l’effondrement du gouvernement français de Michel Barnier est un moment à fort enjeu pour Marine Le Pen.

Cela pourrait lui donner sa meilleure chance d’accéder au pouvoir à la tête du Rassemblement national, parti d’extrême droite.

« Je n’appelle pas à la démission d’Emmanuel Macron », a-t-elle déclaré, tout en précisant qu’il était responsable de l’impasse politique dans laquelle se trouve la France et que “la pression sur le président sera de plus en plus forte”.

Avant de décider de faire tomber M. Barnier, elle a déclaré qu’elle n’était pas « la maîtresse des horloges », c’est-à-dire celle qui dictait l’ordre du jour.

Mais c’est peut-être exactement ce qu’elle devient maintenant, en faisant tomber le deuxième gouvernement d’Emmanuel Macron depuis qu’il l’a devancée à la présidence pour la deuxième fois en 2022.

Alors que sa présidence semble de plus en plus faible, c’est Mme Le Pen qui semble avoir le dessus.

Toutefois, cette situation n’est pas sans risque pour elle aussi.

Pendant des années, Mme Le Pen a joué un jeu d’attente en tant que chef du Rassemblement national. Elle est peut-être aujourd’hui à deux doigts du pouvoir, mais elle doit faire des choix importants.

Pousser à un vote de défiance « représente un risque considérable parce que les gens se demandent maintenant si elle agit vraiment dans l’intérêt du pays ou dans ses propres intérêts personnels », a déclaré le professeur Armin Steinbach de l’école de commerce HEC à Paris.

« Ce qui est évident, c’est qu’il ne s’agit pas de Barnier… il s’agit pour elle d’essayer de renverser et d’affaiblir Macron, évidemment pour ses ambitions personnelles de devenir elle-même le prochain président », a-t-il déclaré à la BBC.

Mme Le Pen a longtemps cherché à « normaliser » le Rassemblement national (RN) aux yeux des Français, en le rebaptisant il y a six ans à partir de l’ancien Front national de son père.

Il y a quelques mois, lors des élections législatives anticipées en France, le RN est arrivé en tête avec 32 % des voix. Sa mission semblait presque accomplie, même si elle n’a pu obtenir que la troisième place au second tour.

Aujourd’hui, dans les derniers jours de 2024, elle prend le pari que les électeurs français considéreront qu’elle agit dans l’intérêt national en faisant tomber un gouvernement affaibli parce qu’il s’oppose à son budget 2025 qui vise à ramener le déficit budgétaire de la France à 6 % de la production nationale, ou PIB.

M. Barnier avait déjà accepté plusieurs de ses exigences en matière de sécurité sociale, mais Mme Le Pen a décidé que ce n’était pas suffisant.

Il existe de réels risques économiques pour la France, ainsi que de réels risques politiques pour Mme Le Pen en soutenant un vote de défiance parrainé par la gauche.

Après seulement trois mois en poste, M. Barnier a demandé aux députés d’agir dans l’intérêt supérieur de la France, mais le chef du parti de Mme Le Pen, Jordan Bardella, a accusé M. Barnier d’être le seul à avoir accepté de voter la motion de censure.

Après seulement trois mois en poste, M. Barnier a appelé les députés à agir dans l’intérêt supérieur de la France, mais le chef du parti de Mme Le Pen, Jordan Bardella, l’a accusé d’adopter une « stratégie de la peur ».

Les collègues de Mme Le Pen pressentent la chute potentielle de M. Macron.

Philippe Olivier, conseiller du RN, a déclaré au Monde que le président était « un monarque républicain déchu, avançant chemise ouverte et corde au cou jusqu’à la prochaine dissolution [du parlement] ».

C’est la décision surprise de M. Macron de convoquer des élections législatives anticipées en juin qui a plongé la France dans l’impasse politique dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.

L’argument de Mme Le Pen est que M. Barnier n’a pas inclus suffisamment de ses demandes dans son budget, tandis que M. Barnier a déclaré que son budget n’était pas « destiné à plaire » – et il l’a accusée d’avoir « essayé d’entrer dans une sorte de surenchère » au cours de leurs négociations.

La dirigeante du RN pourrait ainsi plonger la France « dans le grand inconnu politique et financier », selon les mots de Vincent Trémolet de Villers, rédacteur en chef adjoint du Figaro.

Elle ne veut pas être étiquetée comme la femme politique qui a poussé la France dans les turbulences économiques alors qu’à ses yeux, c’est Macron qui est responsable de l’état économique de la France.

« C’est le résultat de sept années d’amateurisme et d’une dérive spectaculaire de nos finances publiques », a-t-elle déclaré.

De nombreux électeurs français souhaitent le départ de M. Macron avant la fin de son mandat en 2027. Des sondages récents suggèrent qu’au moins 62 % des électeurs pensent que le président devrait démissionner si le gouvernement Barnier tombe.

Le Rassemblement national serait sans doute en phase avec l’ensemble de l’électorat s’il faisait pression en ce sens, même si Mme Le Pen ne l’a pas encore fait.

Mais la dirigeante du RN est confrontée à d’autres problèmes en coulisses qui, selon ses détracteurs, pourraient influencer son jugement.

Le 31 mars, un tribunal français se prononcera dans le cadre d’un procès de longue haleine contre elle et d’autres personnalités du parti, sur des allégations d’utilisation abusive de fonds du Parlement européen.

Les procureurs souhaitent qu’elle aille en prison et qu’elle soit interdite d’exercer une fonction publique pendant cinq ans.

Si cela devait se produire, ses espoirs de remporter la présidence seraient anéantis.

Pour Marine Le Pen, c’est le moment ou jamais.

Elle s’est présentée trois fois à la fonction suprême. Si elle se présente une quatrième fois dans les mois à venir, elle a de fortes chances de l’emporter.

Jordan Bardella est déjà considéré comme plus populaire que Mme Le Pen, tant au sein du Rassemblement national qu’à l’extérieur, et si M. Macron va jusqu’au bout de son mandat, le chef du parti, âgé de 29 ans, serait le favori pour se présenter en 2027.

Aucun gouvernement français n’est tombé après un vote de défiance depuis 1962.

Si elle se trompe, Mme Le Pen risque de ne pas être pardonnée la prochaine fois que la France se rendra aux urnes.

https://www.bbc.com/news/articles/c86w9n705z8o

 

 

Credit photo : BBC

Traduction : Murielle STENTZEL