10 ans de guerre russe contre l’Indépendance Ukrainienne.

22.02.24 – 10 ans de guerre russe contre l’Indépendance ukrainienne
.
Le 22 février 2014, le Président ukrainien Ianoukovytch revenait au petit matin sur les accords signés la veille avec l’opposition, sous médiation franco-allemande. Ces accords prévoyaient qu’il démissionne après l’assassinat par la police de 75 manifestants deux jours plus tôt, mais reste au pouvoir jusqu’aux élections anticipées, prévues en mai. Mais dans la nuit du 21 au 22, il avait été exfiltré en Russie par le colonel du GRU Igor Guirkine. Il annonçait que finalement, il refusait de démissionner et entendait continuer d’exercer le pouvoir… depuis la Russie !
.
Dans l’après-midi, la rada le destituait et la foule envahissait son château au luxe démesuré. Sa fortune personnelle était bloquée et l’Ukraine allait récupérer ainsi 1,4 milliards d’euros (1400 millions !) qui furent versés au budget des œuvres sociales. Poutine tenait le prétexte tant attendu : réagissant à ce qu’il appelait un coup d’Etat, le Kremlin faisait envahir la Crimée par ses petits hommes verts, sans signe distinctif puis déclenchait le soulèvement du Donbass.
.
Ces deux opérations étaient menées successivement par Igor Guirkine, dit Strelkov, vieux routier du genre, puisqu’il fit ses premières armes lors de la prise de la Transnistrie par les régiments russes qui y stationnaient en 1992. Aujourd’hui, Guirkine est en prison en Russie, pour avoir cru que son statut de héros le protégeait au point de lui permettre de critiquer Poutine.
.
Contrairement à la version abondamment diffusée par le Kremlin, l’affaire n’a rien d’un soulèvement anti-ukrainien des cosaques du Don, qui historiquement se sont soulevés contre Moscou plus souvent qu’ils ne l’ont servi. Le 1er décembre 1991, la nation ukrainienne a voté librement pour l’Indépendance à 92%. En Crimée et au Donbass, c’est moins massif, mais c’est tout de même un oui à l’Indépendance à plus de 60%. Depuis lors, Moscou rame en essayant de reprendre le contrôle, en finançant des mouvements d’activistes dans l’est et en s’efforçant de faire élire des marionnettes comme Ianoukovytch.
.
En 2005, dans la foulée de la révolution orange et de l’empoisonnement à la dioxine, qui le défigure, Viktor Iouchtchenko, gagne l’élection contre Ianoukovytch. Peu après Iouchtchenko annonce le non-renouvellement de la location à la Russie de la base navale de Sébastopol, à son échéance en 2017. Poutine fait alors le nécessaire pour déstabiliser profondément l’économie ukrainienne, faisant notamment un gros chantage sur le prix du gaz, élément clé de l’économie ukrainienne.
.
En 2010, Ianoukovytch gagne l’élection en promettant un rapprochement avec l’Union européenne. Ce faisant, Moscou tend un piège à Bruxelles, car Ianoukovytch négocie à la fois un accord de libre-échange avec l’UE et un rapprochement avec Moscou dans le cadre du projet Eurasie, ce qui permettrait aux marchandises russes de rentrer librement dans l’UE sans se plier aux règles européennes. En clair, par l’intermédiaire de l’Ukraine, la Russie aurait accès au grand marché européen sans les contreparties juridiques, économiques et démocratiques.
.
Le premier geste de Ianoukovytch est de signer dès son élection les accords de Kharkiv, qui prolongent la location de Sébastopol à la Russie jusqu’en 2050. En échange, il obtient de très grosses ristournes sur le prix du gaz. Les négociations avec l’UE avancent tranquillement, mais en 2013, tout le monde comprend qu’elles impliquent le retrait de l’Ukraine du projet eurasiatique de Poutine. C’est l’un ou l’autre. Poutine faisant pression, Ianoukovytch annonce en novembre 2013 qu’il rompt les négociations avec Bruxelles, Poutine lui offrant un pont d’or en échange.
C’est ce qui déclenche le Maïdan, qui va voir plus d’un demi-million d’Ukrainiens braver le froid dehors toutes les nuits, durant tout l’hiver, par -15 et même -20°C. Jusqu’aux 75 morts du 20 février. Parce que les Ukrainiens ont très majoritairement soif d’Europe, les jeunes en particulier. Depuis Poutine a fait tuer un demi-million de gens en Ukraine et en Russie pour conserver sa base de Sébastopol, comme il en a fait tuer un demi-million en Syrie, pour conserver son autre base navale de Tartous.
.
Il agit militairement, mais aussi en profondeur sur les opinions publiques et les mouvements sociaux. L’apparition de banderoles pro-Poutine et de drapeaux soviétiques dans les manifs paysannes de Pologne est tout à fait significatif. Le problème, c’est que quand certains paysans polonais commencent à bloquer les convois de renforts militaires, la manipulation de l’opinion publique devient une opération de guerre ouverte.
.
A la guerre comme à la guerre, il serait peut-être judicieux de rappeler aux paysans polonais que s’ils n’acceptent pas la concurrence des paysans ukrainiens, on ne voit pas pourquoi les paysans français devraient accepter la concurrence des paysans polonais ? Paysans français à qui il faudrait d’ailleurs rappeler que la balance commerciale agricole de la France est très largement excédentaire, c’est-à-dire que la France exporte plus de produits agricoles qu’elle n’en importe et que l’un ne va pas sans l’autre. Juste une piqûre de rappel, il ne faudrait pas non plus que l’Europe se dilue dans un redressement des barrières douanières, ce qui ne ferait que le bonheur de Poutine.
.
Les bonnes nouvelles du jour :

– L’UE et les USA avancent très sérieusement sur la remise à l’Ukraine des 300 milliards de fonds russes bloqués, ce qui devrait permettre à Khyiv, entre autres, d’acquérir les obus qui lui manquent.
– Les armes à plus longue portée arrivent. Drones britanniques, missiles d’Amérique (pris sur les stocks de surplus, donc pas concernés par les manoeuvres trumpiennes). Deux frappes de Himars ont fait méchamment mouche, ce matin, d’autres vont suivre.
– Plus de 400 incendies volontaires en deux ans sur des infrastructures ferroviaires et des symboles militaires ou politiques de l’Etat russe (bureaux de recrutement, sièges de Russie Unie à Moscou etc.) c’est le bilan reconnu par la Russie. En fait, d’après les médias russes d’opposition ce serait beaucoup plus.
– La mauvaise nouvelle : l’évacuation sous le feu ennemi des défenseurs de la poche d’Adviivka s’est soldée par des pertes que les militaires qualifient d’inévitables en pareil cas. En clair, l’arrière-garde a couvert la retraite et près d’un millier des hommes qui la constituaient ne sont pas rentrés, en sauvant des milliers d’autres. Gloire aux héros. La Russie selon les différentes évaluations a perdu entre 20 000 et 37 000 hommes pour prendre Adviivka.

Article de Philippe Souaille (journaliste et politologue Suisse).

(en complément , un autre article ci dessous :

https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1221