6 janvier 2021 : des milliers de partisans de Donald Trump prennent d’assaut le Capitole, à Washington, dans le but d’empêcher, selon eux, un “vol” de l’élection, bref pour bloquer la certification des résultats du vote de novembre 2020, qui avait donné clairement la victoire à Joe Biden. En fait, le but était probablement d’instaurer un climat de chaos et d’insécurité qui aurait permis au président sortant de déclarer la loi martiale et d’interrompre le processus électoral. Mal préparée, la tentative a échoué, mais elle a permis de galvaniser les pro-Trump et de les souder autour de quelques “martyrs” pour la cause.
Et en France, demandent inévitablement les observateurs de la chose politique ? Un tel événement serait-il possible ? Est-ce que l’extrême-droite va chercher à faire de même aux prochaines élections ? Etc., etc.
Inutile de poser la question. Oui, c’est possible. Ils l’ont déjà fait. On l’apprend dans les livres d’histoire — ou on le devrait.
6 février 1934 : à l’appel d’organisations de droite et d’extrême-droite, des dizaines de milliers manifestants convergent sur la place de la Concorde, à Paris, et se rassemblent devant la Chambre des députés en scandant : “À bas les voleurs !” Il s’agit de protester contre la majorité issue des élections de 1932, dite “Cartel des gauches”, le jour où un nouveau gouvernement doit être présenté aux députés.
Mais c’est tout le système parlementaire qui est visé par ces Ligues : les “voleurs” sont les élus supposés “tous pourris”, l’affaire Stavisky jouant l’effet d’un détonateur. Peu importe aux ligues nationalistes que seuls quelques hommes politiques aient réellement trempé dans ce qui était au fond une banale et sordide escroquerie, cela devient un prétexte pour condamner les étrangers, les juifs (Stavisky était juif ukrainien), les francs-maçons (comme Camille Chautemps, un ministre impliqué dans l’affaire) et de proche en proche tous les élus de gauche, voire tous les élus…
L’antiparlementarisme de l’Action Française n’est en effet pas loin. Ils ont même été les plus actifs dans les émeutes qui éclatent à Paris en janvier 1934 pour protester contre Chautemps et le gouvernement de gauche.
Le préfet de police, Jean Chiappe, passe alors pour favorable à la droite, et ne fait pas grand-chose pour entraver ces manifestations, contrairement aux manifestations de gauche. Quand il est muté, le 3 février, les nationalistes prennent cela comme casus belli. D’où l’appel à manifester le 6, pour faire pression sur les députés et le nouveau gouvernement qui doit remplacer celui compromis dans l’affaire Stavisky.
Résumons. L’Action Française, ligue monarchiste et nationaliste, appelle à marcher sur le Palais Bourbon, ainsi que d’autres associations très à droite et peu favorables au régime parlementaire : Camelots du Roi, Croix de Feu, Jeunesses Patriotes… On est en 1934, l’Allemagne a basculé dans un régime fasciste l’année précédente, l’Italie douze ans plus tôt, à l’issue d’une “marche sur Rome”. Les pouvoirs publics ont bien des raisons de craindre une tentative de coup de force.
Et en effet, la répression de la manifestation du 6 février sera brutale : au moins 15 morts, presque tous parmi les manifestants. Les émeutes se poursuivront pendant plusieurs jours, et le bilan s’alourdira encore. Des dizaines de morts, des milliers de blessés, et le durcissement — s’il en avait été besoin — des positions de la droite, qui se rapproche de l’extrême-droite.
Un rapprochement et une radicalisation qui va s’accélérer avec la suite des événements.
Car souvenons-nous de nos cours d’histoire : deux ans plus tard, en 1936, les élections portent au pouvoir le Front Populaire, ce qui montre que le pays dans son ensemble n’était pas en phase avec les Ligues. Mais celles-ci continuent d’agiter la notion d’illégitimité de la gauche malgré le verdict des urnes. Les thèmes sont les mêmes : haro sur les juifs, les francs-maçons, les étrangers (à l’occasion de l’arrivée de réfugiés du nazisme et de la guerre d’Espagne), les “rouges”, les “pourris”, ce qui peut tout englober…
Encore quelques années, en 1940, et ils accueilleront l’invasion allemande et la capitulation comme une “divine surprise”, pour reprendre les mots de Charles Maurras, le maître à penser de l’Action Française.
Curieux, non ? Les ultra-patriotes proclamés deviennent les plus pressés de collaborer avec l’occupant. Une autre idéologie plus virulente a supplanté l’amour de la patrie : la haine d’une partie de cette patrie, celle qui ne vote pas comme eux, n’a pas la même religion ou les mêmes origines.
Cela vous rappelle quelque chose ? Difficile de rater le fait qu’un disciple de Maurras et apologiste de Pétain est candidat à l’élection présidentielle de 2022, et considéré comme l’espoir d’une certaine droite, qui s’éloigne de plus en plus gaullisme pour se rapprocher du camp de l’indignité nationale… Drôle d’ambition !