Antivax, gourous et escrocs

 

C’était le samedi 1er janvier. Ce jour de l’an, et alors qu’il couvrait une manifestation parisienne contre le « pass sanitaire » , le reporter politique pour LCI Paul Larrouturou avait été pris à partie par des antivax. Au début, il tend son micro à un manifestant et l’échange commence dans le calme, puis très vite il se fait insulter par plusieurs personnes, avec même des menaces : “Vous êtes des journalistes de merde parce que vous véhiculez la bien-pensance. Il y en a marre de la doxa. Pour le moment on est calme, mais bientôt on ne va pas le rester”.

Cela, on peut le voir et l’entendre sur la petite vidéo reprise ici. Mais comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer un tel fanatisme chez des manifestants vivant réellement dans un monde parallèle, où la pandémie n’existerait pas et où les vaccins seraient des poisons ? J’avais beaucoup lu sur le sujet des « antivax », l’idéologie trouble diffusée dans le mouvement et les manipulateurs qui en ont profité – et ceci au-delà de l’entrisme de l’ultra-droite, objet d’un article déjà repris ici.

Voici donc mon article sur le sujet, publié le 3 octobre dernier

L’infiltration de l’ultra-droite dans le mouvement des antivax – objet de mon premier article -, n’en est pas bien sûr la seule explication. Il y a d’autres composantes, psychologiques, sociologiques, idéologiques qui l’expliquent. Il y a aussi, au-delà des publics se laissant embrigader dans un tel militantisme, ceux qui sont leurs héros, personnalités hautes en couleur, gourous, escrocs ou les deux à la fois : plantons le décor, même si ce ne sera qu’une esquisse.

Il faut d’abord parler des nombreux récalcitrants qui n’ont pas sombré dans le complotisme. Un récent article du « Monde » rappelle que la méfiance vis-à-vis des vaccins est un courant qui a pris de l’ampleur ces décennies ; sont évoquées les spécificités de l’hostilité envers les vaccins utilisés contre le COVID19, mais aussi les troublants points communs avec les « antivax » traditionnels : « Le vaccin qui causerait la mort de la personne inoculée, ou qui infuserait des effets secondaires à long terme dont la science ne sait encore rien ; les discours sur l’immunité naturelle, pour qui il suffit de se confronter à la souche virale pour que le corps fasse le reste ; ou encore les conflits d’intérêts supposés entre les décideurs et les grands laboratoires pharmaceutiques ». Pourquoi ce renouveau de méfiance vis-à-vis de la science et d’avancées technologiques majeures comme les vaccins à ARN messager ? On n’a pas assez commenté la chute impressionnante du niveau en mathématiques des jeunes élèves français, maintenant bons derniers de l’Union Européenne ; cette faiblesse a une incidence directe sur la compréhension des matières scientifiques, au point par exemple qu’un nombre impressionnant « d’antivax » croient que les vaccins Pfizer et Moderna « modifient le génome humain ».

Cette méfiance va beaucoup plus loin lorsque sont avancés des discours complotistes tels que : négation pure et simple de la pandémie ; virus crée artificiellement « par les élites » afin de s’assurer le contrôle total de l’Humanité, au moyen (au choix) « de la manipulation mentale », « de puces 5G injectées dans les vaccins », « du QR code permettant une surveillance permanente » ; dizaines de milliers de morts causées par la vaccination et qui seraient cachées ; ou enfin « génocide programmé » par l’ARN messager. Ecoutons Boris Cyrulnik : « L’ignorance provoque un tel état de confusion qu’on s’accroche à n’importe quelle explication, afin de se sentir un peu moins embarrassé. C’est pourquoi, moins on a de connaissances, plus on a de certitudes ». Et tout ceci -plus le caractère vicieux des algorithmes de Facebook qui enferment les gens dans une communauté de « clones » – incite l’antivaccin militant à « faire ses propres recherches sur Internet » en ne retenant que ce qui lui plait. Cette ignorance refoulée par des pseudo certitudes répond aussi à l’angoisse des moins solides psychologiquement, désorientés par un virus nouveau, les tâtonnements et les mesures sanitaires différentes au cours du temps que nous avons tous subis. Ajoutons aussi une composante sociologique : la crédulité envers les théories les plus farfelues est logiquement plus grande chez ceux n’ayant pas fait de longues études, et donc dans les populations les plus pauvres : et cette fracture culturelle se retrouve dans les différentiels de vaccination, entre quartiers aisés et banlieues pauvres.

Les Antilles sont un parfait exemple de la force locale des antivaccins et de ses multiples facteurs. Le fort retard de vaccination par rapport à la Métropole a eu pour conséquence, dans des Territoires jusque là plutôt épargnés, une propagation foudroyante du « variant delta » : au mois d’août, l’ensemble des DOM/TOM, représentant 4% de la population française totale, comptaient 40% des morts du COVID. Or que s’est-il passé particulièrement en Martinique et en Guadeloupe ? Une large partie de la population est restée hostile au vaccin sous l’influence d’acteurs spécifiques : Eglises évangéliques ; parti indépendantiste dénonçant une politique sanitaire jugée « colonialiste ». Cette méfiance vis-à-vis de la Métropole, ravivée par le scandale passé de la chlordécone (pesticide toxique), est parfaitement illustrée par une figure des Gilets Jaunes d’origine martiniquaise, Priscillia Ludowsky, qui écrit ceci sur son blog : « La course aux vaccins se poursuit (…)  alors que le laboratoire guadeloupéen Phytobôkaz a annoncé (…), une importante découverte (..). Des extraits de l’herbe à pic (Zèb a Pik en créole), issue de la pharmacopée traditionnelle guadeloupéenne, auraient la capacité de rendre les cellules hôtes du virus hostiles à son développement et à sa reproduction ». On peut trouver aussi sur le réseau FaceBook les propos hystériques d’une Guadeloupéenne criant que les vaccins tuaient 100 fois plus que le virus.

L’évocation ci-dessus des vertus supposées d’une plante médicinale conduit aussi à mettre le projecteur sur une idéologie qui monte en puissance : l’écologie politique. Lire en lien un article très riche analysant les discours divers des « antivax » et dont voici un extrait : « le vaccin est une pollution de l’organisme (..) ; il empêche la nature d’accomplir son œuvre tout en étant un artifice coûteux et nuisible. » Députée européen du parti EELV, prenant souvent des positions contre le consensus scientifique, Michèle Rivasi participe ainsi aux réunions filmées du « Conseil Scientifique Indépendant », émanation du collectif « Ré-info COVID » fondé par Louis Fouché, anesthésiste réanimateur qui vient d’être écarté des hôpitaux de Marseille en raison de son militantisme contre toutes les mesures sanitaires. Or fragiles sont les frontières séparant en théorie écologistes et « bruns » : le site « Conspiracy Watch » lui consacre un article retraçant son étrange trajectoire, de l’écologisme intégral du mouvement des « Colibris » de Pierre Rabhi, aux médias douteux qui l’accueillent actuellement ; Louis Fouché a tenu des propos complotistes de toutes sortes et pas seulement à propos des vaccins ; il n’a pas hésité à s’afficher aux côté d’une militante suisse de la mouvance « Qanon », Chloé Flammery, ou de Salim Laïbi, complotiste antisémite bien connu ; et autour de lui gravite une nébuleuse de l’ultra-droite, parfois proche d’Alain Soral et listée dans un long article.

Vraie caution scientifique des antivaccins, Alexandra Henrion-Claude fut directrice de recherche à l’Inserm. Docteur en génétique, elle n’en a pas moins énoncé des affirmations sur les vaccins à ARN messagers qui ont été toutes démenties par la communauté médicale. Proche des milieux catholiques intégristes et en particulier de « La manif pour tous » homophobe et anti-IVG, elle est très applaudie lors des manifestations des « antivax » ; et elle n’hésite pas à se montrer en compagnie de figures ouvertement complotistes.

Autres personnages, ceux-là présentant moins de vernis scientifique et tenant des propos hallucinants, les soi-disant « lanceurs d’alertes », naturopathes « New Age », escrocs, mais surtout gourous pour un public affolé par la crise sanitaire. « L’Extracteur » est le nom d’un compte twitter passionnant, mais aussi d’une chaine YouTube et d’un blog dédié à leur démontage. Vous y découvrirez « les quatre fanatiques » , tous antivaccins et dont voici une présentation hélas beaucoup trop rapide. Thierry Casasnovas a trouvé le bon filon comme gourou naturopathe, « vendant des formations à distance autour de la « physiologie », l’hygiénisme ou l’iridologie (une pseudoscience qui prétend établir des diagnostics de santé selon la forme et la couleur de l’iris). Silvano Trotta dit que « l’alunissage d’Apollo est un fake », et d’ailleurs « pour lui, la Lune est creuse ». Membre de l’association « Bon sens » en compagnie notamment d’Alexandra Henrion-Claude, de la députée Martine Wonner et du Professeur Christian Perronne, il  défend le « traitement miracle » du Pr Raoult. Jean-Jacques Crevecoeur, naturopathe belge vivant au Canada, a été épinglé par une commission d’enquête du Sénat sur les dérives sectaires ; pour lui, « Pasteur aurait truqué ses résultats » ; il a donné une série d’entretiens sur la chaine YouTube du délicieux Salim Laibi, déjà cité ; et il semble très bien vivre de ses abonnements et formations. Enfin Christian Tal Schaller coche toutes les cases du complotisme, de la négation frontale de l’épidémie aux « complot de la vaccination » des Rothschild, Rockefeller et Bill Gates.

Il manquait un ex-journaliste pour réunir dans une mémorable conférence Zoom tout ce beau monde, et ce fut Richard Boutry, ex-présentateur du journal du soir sur France 3. Il a réalisé entre 2020 et 2021 des interview filmées pour le site complotiste « France-Soir ». Fondateur d’une web-télévision, « La Une tv », il a eu sur son plateau des invités parlant tranquillement du « complot pédo sataniste » ou du vieux complot des Rothschild.  Sourions un peu au milieu de toute cette boue : ces tristes sires comme « Ricardo » Boutry ou d’autres, ont droit à un traitement humoristique sur la chaine YouTube « TikoSkep », allez la découvrir !

Restent pour finir cette fresque « antivax », deux avocats. Carlo Alberto Brusa, accent italien et ventripotent jovial, a eu parmi ses clients des footballeurs célèbres ; la crise du COVID lui a ouvert un juteux business, avec l’association « Réaction 19 », proposant des recours juridiques contre les décrets, contraventions, fermetures liés aux mesures sanitaires prises à cause de la « pandémie » (guillemets intentionnelles sur son site) ; ses succès sont nuls mais la pompe à fric a du bien fonctionner vu les milliers d’adhérents. Maitre Fabrice Di Vizio s’est positionné sur le même créneau ; regard inquiétant, lunettes rondes et voix haut perchée, il se défend d’être complotiste mais c’est un antivaccin engagé proche de Florian Philippot ; le JDD du 12 septembre lui a consacré un long article, le présentant comme un « professionnel de la plainte groupée » et évoquant le passé agité de cet avocat, condamné il y a quelques années à une suspension d’exercice de la profession ; très fâché par ces critiques il a successivement annoncé sa mise en retrait volontaire, puis sa future candidature aux Législatives, pour – en feu d’artifice final – mettre en ligne une vidéo, où il dit que « des centaines de millions de vies ont peut-être été sauvées par la prière des moines » 

Cet article a été publié le 23 septembre 2021 sur le site Temps et Contretemps

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