À propos de Zemmour, des juifs et d’un fromage

D’abord, je ne comprends pas pourquoi tout le monde a parlé de cet incident en omettant de mentionner son personnage principal. Non, pas Zemmour, Morandini. Celui qui conçoit une telle séquence. Qui la construit. « Je vous présente Rachida parce qu’elle porte le voile ». Autant dire, je veux faire un buzz à partir de l’idéologie de l’extrême droite. Je me complais dans ces immondices. Je pose une dynamite dans un bain de boue de façon à ce que cela rejaillisse sur tous, le plus possible, et là, une fois que tout le monde est sali, souillé, honteux, humilié, je me repais et m’auto-congratule de mon travail bien fait.

Ce type est misérable. Et son média est misérable

Ce jour-là Morandini exposait Zemmour à la population de Drancy en vu de réussir le premier numéro de son émission "Face à la rue".

Quant à Zemmour, il a fait du Zemmour. On s’étonne encore qu’il puisse sommer une femme de se déshabiller publiquement ? Oui, parce que c’est de cela dont il s’agit. Dire à une femme : « Retirez ce vêtement, je veux vous voir, je décide si votre corps doit être visible ou non.» Et le dire devant les caméras pour pouvoir exercer son pouvoir publiquement. Mais pourquoi s’en étonner quand tous les médias lui ont offert tribune sur tribune pour cracher sa haine des femmes, c’est-à-dire les réduire à des corps que l’on peut posséder à sa guise ?

Zemmour n’a fait que du Zemmour. Il aurait tort de s’en priver, on lui tend le micro. « M. Zemmour, que faîtes-vous devant une femme voilée ? » « M. Zemmour, dîtes nous ce qu’est la France. » « M. Zemmour, expliquez-nous la laïcité. » « M. Zemmour, que vous êtes joli, que vous êtes beau ! » Alors oui, Zemmour nous montre sa belle voix.

« La France, c’est sacré ». Comme La Mecque, dit-il. Il ne s’agit pas pour lui d’adhérer à des principes – en l’occurrence républicains – mais bien de vénérer une entité spirituelle, de s’y soumettre, et d’en faire la causalité première qui ne peut souffrir d’aucune distance critique. La France, entité homogène, principe éternel, divination absolue. Le logiciel de Zemmour est bien celui du fanatisme religieux – ce qu’on appelle en d’autres termes, et dans d’autres cercles, l’idolâtrie. Et cet idolâtre prétend vouloir faire respecter la laïcité en imposant aux femmes musulmanes qui portent le voile de le retirer.

« La laïcité, c’est la discrétion. » Toujours une imposture, un mensonge délibéré. « La laïcité, c’est un sac de pommes de terre. » Et toujours ce ton professoral du savant pédagogue. On ne reconnaît pas aux fanatiques religieux le droit de parler de la laïcité, pourquoi faire une exception avec Zemmour ?

La laïcité est avant tout la liberté de conscience, ce que précisément Zemmour veut détruire. Car ce qui l’obsède, ce qui le ronge, ce qui le hante, c’est la capacité des individus à choisir leur voie, selon un modèle autre que le sien. Zemmour n’a pas un problème avec sa judéité. Il est tranquillement juif et d’extrême-droite. Tranquillement, pas de haine de soi. Parce qu’il a dessiné les contours – extrêmement minces – d’une alliance entre une judéité par héritage, cantonnée à la sphère intime et d’une adhésion choisie à la vision du monde nationaliste.

Selon ce modèle, il reconnait à tous le droit de posséder un héritage, une origine (le « nom de famille » dans son discours), et à tous, il impose de la cantonner à la sphère privée. Qu’elle ne déborde pas d’un millimètre de son périmètre autorisé. Les nationalistes par définition haïssent la multiplicité des origines, ils fantasment une pureté ethnique qui constitue un des critères fondamentaux de l’appartenance au groupe supérieur. Zemmour, lui, accepte la notion d’origine étrangère tant qu’elle est maintenue selon les dimensions exactes qu’il accorde à la sienne.

« À Rome, fais comme les Romains ! » dit-il à Rachida. Mais il faut comprendre : « En France, faîtes comme moi, Eric Zemmour ! » Le seul modèle est le mien, quelles que soient les minorités. Pas d’autres façons d’être juif, pas d’autres façons d’être musulman, et que quoi qu’il arrive, le corps des femmes soit à disposition. « Là, vous respectez la laïcité ! » lance-t-il à Rachida, une fois celle-ci dévoilée. Comprendre : « Là, vous êtes soumise à mon désir et ma puissance ! »
Combien de micros faudra-t-il encore lui tendre pour qu’on comprenne enfin la responsabilité des médias dans la popularité de ce personnage ? Quand cesseront-ils enfin de le flatter ?

Sa voix n’est pas belle. Que les micros se détournent de lui. Il gardera en bouche son fromage.

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