Chassez la vérité, mettez n’importe quoi à la place

Le 6 janvier 20, comme on s’en souvient, une foule de partisans de Trump est partie à l’assaut du Capitole à Washington, D.C., au nom d’une fiction : l’idée que les élections de novembre 2020 avaient été truquées et que le vainqueur, Joe Biden, n’était pas le vrai président. Il y aura cinq morts au total. Deux semaines plus tôt, à Nashville, Tennessee, une voiture piégée explosait en faisant quelques blessés. L’auteur de l’attentat avait le même jour diffusé un message mettant en garde contre les “reptiliens”, d’hypothétiques hommes-lézards qui contrôleraient secrètement le monde.

On pourrait remonter aussi à l’incident dit du “Pizzagate”, en 2016, sur des liens fictifs entre Hillary Clinton et une tout aussi fictive secte de satanistes pédophiles qui se retrouveraient les sous-sols d’une pizzeria de New York, qui aboutiront à l’intrusion d’un homme lourdement armé dans un des établissements cités, afin de libérer les enfants d’un complot auquel il croyait dur comme fer. L’incident n’a pas fait de victimes, mais tout juste. Et le thème des enfants retenus en esclavage par un gang de pédophiles protégés en très haut lieu, jusqu’au sommet de l’État, sera repris et amplifié jusqu’à l’absurde par le mouvement QAnon.

Et qu’on ne pense pas que la France, pays réputé cartésien, soit à l’abri : on a vu avec l’enlèvement de la petite Mia dans les Vosges combien le thème d’un “complot des élites” pouvait s’emparer de l’imagination de personnes fragiles, poussant une mère à s’associer avec des inconnus rencontrés sur Internet pour enlever son propre enfant. Cette femme raconte sa plongée dans le complotisme comme un “éveil”, mais il faudrait plutôt parler d’un retournement, une inversion des valeurs : le bien devient le mal et la vérité la fiction.

On connaît la phrase d’Hannah Arendt dans son ouvrage Les origines du totalitarisme  :

«  Le sujet idéal du régime totalitaire n’est pas le nazi convaincu ou le communiste convaincu, mais les gens pour qui la distinction entre réalité et fiction… et la distinction entre vrai et faux… n’existe plus »

Le confusionnisme entretenu par les théories du complot n’est pas gratuit. Il sert à transformer des gens ordinaires en apôtres d’une nouvelle religion, une cause à laquelle ils finissent par sacrifier leurs liens sociaux, leur emploi, parfois leur famille et jusqu’à leur vie, comme dans le cas des manifestants morts le 6 janvier à Washington.

Les victimes sont rarement les artisans de la théorie du complot eux-mêmes, au contraire. L’assaut du Capitole a eu l’effet de radicaliser la base des fans de Trump, de mettre entre eux et lui le lien d’un événement sanglant. Le simple fait que des gens ont pu se battre et mourir pour la cause sert de validation : comment remettre en question la notion de départ, la prétendue victoire de Trump, puisque des gens ont payé de leur personne pour la faire triompher, les uns blessés ou morts, les autres en prison ? Le retournement opéré, ils ne peuvent revenir en arrière.

En fait, ils sont mûrs pour jouer encore les petits soldats de Trump, en 2022 pour les élections de mi-mandat, et surtout en 2024, où un résultat en défaveur de Trump serait aussitôt contesté par des foules indignées. Et cette fois le parti Républicain aurait eu quatre ans pour s’organiser afin d’affaiblir les normes en vigueur en matière de décompte des voix et de certification des votes. Bref, pour changer les règles en leur faveur.

Nous devrions dresser l’oreille : “élections volées” est un refrain qu’on commence à entendre un peu trop souvent aussi en France. Cela va de Jean-Luc Mélenchon qui prédit “un grave incident ou un meurtre” par un “petit personnage sorti du chapeau” dans les derniers jours de la campagne présidentielle pour la faire dérailler, jusqu’à Zemmour qui avait déjà employé le mot “vol” à propos de l’échec de François Fillon en 2017 (alors que c’est la révélation de ses affaires par le Canard enchaîné qui l’a plombé, on s’en souvient), et qui se plaint aujourd’hui que si le président Macron parle plus du Covid que de l”identité française”, c’est pour lui “voler” l’élection, à lui, Zemmour… qui n’est pour l’instant même pas au second tour.

Ce serait risible s’il n’y avait pas derrière des naïfs qui votent, militent, donnent de l’argent pour eux, et parfois versent dans la violence. Le tout en étant persuadés que ce sont les autres les moutons de Panurge. Eux sont “éveillés” à la façon de la mère de Mia. En bon français, on appelle ça un cauchemar.

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9 janvier 2022 19h12

[…] est tout récent : « Chassez la vérité, mettez n’importe quoi à la place », sur le site Résistance aux extrémismes, et explore l’utilisation politique des théories du […]

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