Les excuses d’un Américain et un avertissement.
À mes amis européens, je tiens à présenter mes excuses et à leur adresser un avertissement urgent.
Je suis profondément désolé que les Américains vous laissent tomber en cette période dangereuse et difficile, alors que vous nous avez soutenus pendant tant d’années. Je n’ai pas voté pour cela, je n’en voulais pas, je me suis battu contre. Mais je suis Américain, et c’est le choix et la politique de mon pays, et j’en ai honte.
Maintenant, l’avertissement : L’Europe doit devenir l’une des grandes puissances du monde, et ce rapidement, sous peine de se faire dépecer par eux.
Le découpage a déjà commencé. À l’instar des dirigeants coloniaux qui s’assoient à une table pour tracer les frontières d’un continent lointain, les dirigeants des États-Unis et de la Russie s’assoient à une table en Arabie saoudite pour disposer de vos vies et de votre avenir sans votre participation ni votre permission.
Beaucoup d’entre nous craignaient que cette négociation ne ressemble à la conférence de Munich de 1938. Elle ressemble davantage au pacte Molotov-Ribbentrop. Il ne s’agit pas d’un apaisement, mais d’une alliance.
L’Amérique s’apprête à vous vendre, au sens le plus littéral du terme. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a parlé des « incroyables possibilités de partenariat avec les Russes sur le plan géopolitique, sur des questions d’intérêt commun et, franchement, sur le plan économique ». Nous avons quelques idées précises sur ces opportunités économiques. Le représentant russe Kirill Dimitriev a parlé du retour des compagnies pétrolières occidentales en Russie. Le gouvernement américain a également présenté à l’Ukraine un contrat accordant aux États-Unis la moitié des revenus de l’Ukraine provenant de l’exploitation minière et pétrolière, ainsi que des ports et autres infrastructures, sans rien promettre en retour. Un fonctionnaire ukrainien a qualifié ce contrat d’« accord colonial ».
C’est ce qui lui donne l’aspect de Molotov et Ribbentrop. Cela ressemble à un accord visant à diviser l’Ukraine, pour la dominer et la piller, comme les Soviétiques et les Allemands ont divisé la Pologne en 1939. Un analyste britannique l’a décrit comme « non pas des pourparlers de paix, non pas des négociations, mais une réunion d’affaires – une réunion d’affaires entre les représentants de deux patrons qui veulent décider de la meilleure façon de partager le butin de la guerre ».
C’est aussi le sens des rodomontades répétées et apparemment séniles de Trump sur l’achat ou la saisie du Groenland. Alors qu’il prévoit d’abandonner une grande partie de l’Europe à la Russie, il veut s’approprier une grande partie du territoire danois. Comme Vladimir Poutine, il y voit le droit naturel d’une grande puissance sur les voisins qu’elle domine.
La manière plus substantielle dont les États-Unis ont l’intention de découper l’Europe a été annoncée par le discours de J.D. Vance à Munich, dans lequel il a cherché à briser le pare-feu allemand contre le retour du fascisme et à mettre un terme à tous les efforts européens visant à contrer la propagande et la subversion dirigées par la Russie. L’ensemble du discours était une vaste contradiction orwellienne dans laquelle les politiques autoritaires et les campagnes de propagande d’un gouvernement hostile sont qualifiées de « liberté d’expression ». Mais l’intention était claire. Les dirigeants actuels des États-Unis veulent que l’Europe se soumette à l’imposition de régimes autoritaires et racistes, à l’image du modèle autoritaire relancé par la Russie et désormais adopté par l’Amérique. C’est un plan de domination politique de l’Europe par les grandes puissances qui l’entourent.
Tel sera le destin de l’Europe, à moins qu’elle ne choisisse de devenir elle-même l’une de ces grandes puissances.
J’ai été frappé par ce constat lorsque j’ai vu la récente couverture d’un magazine d’information allemand avec une bande dessinée représentant les grandes puissances du monde réunies pour découper le globe. Il y avait Trump, représentant l’Amérique, Poutine pour la Russie et Xi Jinping pour la Chine. Mais il n’y avait personne pour représenter l’Europe.
Il est pourtant absurde de penser que l’Europe est une entité qui n’a pas sa place dans le monde. Les pays d’Europe, à l’exclusion de la Russie, représentent 700 millions de personnes. L’Europe est composée de sociétés avancées et développées, de grands centres scientifiques et culturels et, prise dans son ensemble, elle est la troisième économie mondiale, au même titre que les États-Unis et la Chine. L’Europe représente également une grande partie de l’OTAN, la force militaire la plus puissante du monde. Même sans les États-Unis, vous faites plus que le poids face à une Russie pauvre, arriérée et épuisée. De plus, le Royaume-Uni et la France disposent de leurs propres forces nucléaires, qui constituent un moyen de dissuasion contre d’autres puissances nucléaires.
La grandeur de l’Europe ne se résume pas à l’argent, aux armes et au territoire. Les Américains se sont longtemps flattés, en empruntant les mots d’un Français, Alexis de Tocqueville, que « l’Amérique est grande parce qu’elle est bonne ». Par « bonne », nous entendions que nous sommes, ou avons été, une société libre. Libéré des contraintes féodales et aristocratiques, chaque individu était libre de rechercher la prospérité et de chasser de nouvelles idées, indépendamment des circonstances de sa naissance, de sa religion ou de son origine nationale, et finalement de sa race ou de son sexe. Cela nous a permis d’exploiter pleinement les talents et les énergies de notre propre population et d’absorber des millions d’immigrants qui nous ont apporté les talents et les énergies du monde entier.
L’Amérique a décidé, pour un temps au moins, de cesser de le faire. Il est donc temps que quelqu’un d’autre prenne cette place à l’avant-garde du monde. Aucune région n’est plus qualifiée que l’Europe, qui, après de dures expériences, a largement et profondément adopté la tolérance et le pluralisme d’une société libre.
La démocratie libérale est une superpuissance qui peut faire la grandeur d’un pays ou d’un continent. Le monde a besoin d’au moins une telle puissance démocratique libérale, pour servir de refuge, de protecteur et d’exemple au reste du monde. Si ce n’est pas l’Amérique – pour qui sait combien de temps – alors il vaudrait mieux que ce soit l’Europe.
Cela ne sera pas facile pour l’Europe. L’Union européenne est une alliance souple dotée d’une bureaucratie qui peut être étrangement intrusive sur les petites questions, mais elle n’a toujours pas d’exécutif central réellement unifié. Vous devrez trouver le moyen de travailler de concert et d’agir de manière décisive. Mais l’unité viendra du partage de la lutte et de ses triomphes, comme ce fut le cas pour les treize colonies séparées qui ont formé les États-Unis, et comme ce fut le cas pour les États-Unis et l’Europe dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide.
L’Europe a la capacité de s’affirmer comme une grande puissance, il lui suffit d’en avoir la volonté.
La volonté vient de la nécessité – si vous choisissez de la reconnaître. Vous devez accepter le fait que votre existence en tant que nations libres est en jeu, que l’alternative est l’asservissement à la volonté d’hommes forts étrangers. C’est l’avis que vous venez de recevoir, en termes définitifs, de la réunion de Riyad.
Et vous devez choisir rapidement. Les dirigeants et les citoyens européens continuent de fonctionner comme si les règles normales s’appliquaient et qu’ils pouvaient réagir aux événements en réfléchissant soigneusement pendant des mois et des années. C’est une illusion.
Il faut se rendre compte de ce que beaucoup d’Américains ont découvert dans le choc brutal de notre politique intérieure, où un homme non élu et sans fonction officielle vient de démanteler notre gouvernement, d’abattre tous les garde-fous et de s’octroyer un pouvoir quasi illimité, qu’il exerce maintenant avec une cruauté délibérée à l’encontre de minorités vilipendées. Tout cela se déroule à la vitesse, non pas d’une politique normale, mais d’une révolution. Comme l’aurait dit un révolutionnaire, « il y a des décennies où il ne se passe rien, et il y a des semaines où il se passe des décennies ». Vous vivez ces semaines-là.
Vous êtes déjà entrés dans un monde différent de ce que la plupart d’entre nous ont connu, un monde dans lequel l’Amérique n’est pas un garant de votre sécurité, ni un allié, ni même un défenseur de votre liberté. L’Amérique est désormais une grande puissance qui conspire avec d’autres grandes puissances pour vous placer sous leur domination.
Pour l’arrêter et pour maintenir la lumière de la liberté dans le monde, vous devez devenir vous-mêmes une grande puissance.
Traduction : Murielle STENTZEL