Derrière le mythe du “grand remplacement” la haine des réfugiés fuyant les guerres, par Firas Kontar

Image d’Alep le 19 décembre 2016, après avoir détruit leur ville et leurs maisons dans une stratégie de crimes contre l’humanité, Assad et Poutine organisent la déportation des habitants d’Alep-Est vers la province d’Idlib comme pour Homs, la Ghouta, Deraa… et cela sous le regard indifférent de la communauté internationale.


En 2017 alors que la campagne électorale était polluée par la question migratoire, notamment suite à la crise des réfugiés de 2015, j’écrivais un article intitulé « Marine peut remercier Poutine pour ses bombardements en Syrie »[1]. L’extrême droite européenne dans son ensemble a surfé sur le malheur de millions de syriens : elle présentait la fuite des civils face aux bombes d’Assad et de ses alliés qui les ciblaient délibérément comme étant un acte d’invasion massif de l’Europe par des hordes de terroristes, de délinquants, de violeurs… Le Rassemblement National et ses acolytes européens, soutiens de Poutine et Assad, oublient la responsabilité de ces derniers face à la pire tragédie humaine de ce siècle : la Syrie.

Malheureusement en 2015 une grande partie des responsables politiques français reprenaient les éléments de langage du RN, et préféraient parler du chantage d’Erdogan sur les réfugiés plutôt que des responsabilités de Poutine et Assad dans la vague migratoire. Il est certain qu’Erdogan a fait du chantage à l’Union européenne avec les réfugiés, mais il ne faut pas oublier que la Turquie accueille depuis 10 ans la plus grande partie des réfugiés syriens soit environ 3,5 millions de personnes. Ces réfugiés en Turquie ont fui les crimes d’Assad et de ses alliés, qui pour gagner la guerre contre les syriens ont adopté une stratégie de bombardements massifs des civils et des infrastructures vitales comme les hôpitaux ou écoles. L’objectif de cette stratégie était de provoquer un changement démographique en Syrie en faveur du régime syrien, Assad faisant partie de la minorité alaouite voit en la majorité arabe sunnite qui constitue 70% de la population une menace pour son pouvoir et son clan.

Cet exil massif des syriens a toujours été un des objectifs du régime Assad, d’ailleurs la victoire militaire d’Assad aidé par Poutine, parrain des fascistes européens, ne s’est pas traduite par un retour des réfugiés. Human Rights Watch[2] ainsi qu’Amnesty[3] ont publié ces dernières semaines deux rapports distincts sur les exactions et crimes commis contre les réfugiés rentrés en Syrie : viols, tortures,  exécutions … Toute honte bue Eric, Zemmour comme Marine le Pen et comme beaucoup de dirigeants de l’extrême droite européenne s’en prennent à ces malheureux fuyant la guerre, et soutiennent leurs bourreaux. Ces derniers jours, en pleine crise entre l’Union européenne et le Bélarusse sur la question des réfugiés, pas un mot de condamnation des responsables de l’extrême droite française à l’encontre de Loukachenko, d’Assad et de Poutine qui ont organisé une crise de réfugiés et des scènes de désolation aux portes de l’Europe. Marine Le Pen se contente de parler d’une agression migratoire sans nommer les responsables, là où Zemmour parle d’une attaque de migrants à la frontière polonaise.

Les gouvernements européens tétanisés par la question des réfugiés et de l’immigration n’ont pas su apporter une réponse à la crise de 2015. Seules l’Allemagne et la Suède ont sauvé l’honneur de l’Europe en accueillant massivement des réfugiés. Cette crise sans réponse politique a malheureusement contribué à engendrer ce monstre français qu’est Eric Zemmour, à travers un discours nauséabond qui reprend les thèses du grand remplacement de l’essayiste d’extrême droite Renaud Camus.

Les paroles de Zemmour sont constamment analysées, reprises et diffusées à travers les médias qui participent à leur diffusion, alors que ce discours n’est que l’expression d’une haine tenace et raciste qui reprend le pire de l’idéologie de l’extrême droite. Zemmour surfe sur la peur utilisant la crise des réfugiés de 2015 et la vague d’attentats islamistes qui touchent le Vieux continent pour diffuser des récits nauséabonds, comme le 29 septembre 2020 où il déclare sur la chaîne qui l’embauche “ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer et il ne faut même pas qu’ils viennent”. Il se revendique gaulliste tout en défendant Pétain qui aurait « sauvé des juifs ». L’idéologie de Zemmour et son obsession pour les religions, les origines voire les races devraient être un cas d’étude psychiatrique et non un sujet de débat politique. Mais l’effet conjugué de la crise migratoire et des attentats du terrorisme islamiste apportent du grain à moudre à Zemmour et surtout à ses récits fantasmés sur le grand remplacement ; et il est aidé par Bolloré, qui a mis à sa disposition son groupe médiatique.

D’après Zemmour, l’Europe et ses 447 millions d’habitants sont menacés par une invasion migratoire alors que l’ensemble des pays de l’Union accueille environ un million de réfugiés depuis 2015, bien moins que la Turquie où 3,5 millions de syriens ont trouvé refuge, alors que des petits pays comme le Liban ou la Jordanie accueillent chacun environ un millions de réfugiés pour une population de 6 millions d’habitants au Liban et de 10 millions en Jordanie. Devons-nous constamment contre argumenter face à l’idéologie de la haine qui fait du noir, de l’arabe, de l’afghan, du chinois un voleur, un violeur, un terroriste… Devons-nous nous résoudre à expliquer aux responsables politiques d’un pays comme la France, qui vend pour plusieurs milliards d’euros d’armes par an, qu’ils ne devraient pas faire écho aux diatribes de Zemmour en s’en prenant à l’aide médicale d’état qui permet aux étrangers de se soigner et dont le budget est de 500 millions d’euros ? Ou devons-nous simplement exprimer notre devoir d’humanité à l’encontre de ceux qui souffrent et ceux qui fuient les guerres ?

Alors parlons d’eux. Mon oncle Salman Kontar a fui la Syrie à l’été 2015, il avait une cinquantaine d’année. Il a travaillé dur toute sa vie en Libye, en Jordanie, au Liban pour construire une modeste maison et fonder un foyer. En 2013 sa maison dans les faubourgs de Damas s’est retrouvée sur la ligne de front, il a été contraint de quitter son quartier et de délaisser son petit commerce qui était son gagne-pain pour s’installer avec sa famille dans l’appartement de mes parents, dans une des proches banlieues de la capitale. Il songeait déjà à quitter le pays non pas pour lui, il savait qu’il devrait tout recommencer à zéro dans un pays dont il ne connaissait pas la langue, mais pour ses enfants. Il n’y a pas d’avenir envisageable pour eux dans la Syrie d’Assad. Ce qui le retenait à ce moment c’était son père, mon grand-père fatigué et malade, il est resté à ses côtés jusqu’à ses derniers jours en 2015. C’est au printemps de cette même année qu’il a pris la route pour l’Allemagne. Il faisait partie de ces milliers de syriens qui ont traversé la mer Egée depuis la Turquie. L’embarcation qui le transportait avec une cinquantaine de personnes, tous syriens, a chaviré à une centaine de mètres du rivage mais par miracle tous s’en sont sortis indemnes. S’en sont suivi de longs jours de marche avant d’arriver en Allemagne au début de l’été 2015. Le bonheur de mon oncle s’entendait quand il parlait de cette nouvelle vie qui s’offrait à lui en Allemagne, il a découvert la nature verdoyante de la Bavière, il était admiratif des infrastructures du pays, des services proposés aux citoyens et aux migrants : la santé, l’éducation, la formation … Il a surtout découvert la liberté d’expression, la possibilité de débattre sans peur d’être arrêté, et de pouvoir manifester librement sans crainte. Il disait que c’est en Allemagne qu’ il s’est senti, pour la première fois, considéré comme un être humain. Il était impatient de finir les démarches administratives pour le regroupement familial afin de faire partir de l’enfer syrien sa femme et ses deux enfants alors âgés de 12 et 13 ans. Le 24 décembre 2015, alors qu’il préparait un réveillon de Noel avec d’autres réfugiés syriens pour remercier de leur accueil les habitants d’un petit bourg à la frontière autrichienne, il décède d’une crise cardiaque.  La dureté du voyage, l’éloignement de sa famille surtout de ses enfants, et l’effondrement de son pays ont été probablement trop lourds à supporter, son cœur a lâché.

Chaque réfugié a sa propre histoire, et chaque migration subie est une blessure. Nous devons considérer tous ces réfugiés et migrants comme des êtres humains, comme nos égaux. Nous ne pouvons plus accepter qu’ils soient déshumanisés comme l’a fait l’élu RN Julien Odoul qui appelait à laisser les migrants mourir de froid à la frontière polonaise. Ce qui fait la grandeur de l’Europe c’est son humanisme. Ceux qui prétendent que notre civilisation, sous-entendu européenne ou occidentale,  est supérieure aux autres, et appellent à se comporter comme les pires des tyrannies en laissant mourir nos semblables à nos frontières ne sont supérieurs en rien, ils sont les héritiers de la haine fasciste. Je crois à la supériorité morale des états libres et démocratiques qui placent l’humain devant toutes autres considérations qu’elles soient économiques, religieuses ou ethniques. Sauver ces migrants et ces réfugiés c’est avant tout nous sauver nous de l’autoritarisme et du totalitarisme qui s’invitent là où les droits humains sont bafoués…

L’histoire de mon défunt oncle a trouvé un dénouement imprévu dans une petite commune du Gard. Un collectif de citoyens qui a appris son histoire par une amie a réussi à obtenir le statut de réfugiés pour la femme de mon oncle et ses enfants. Grâce aux membres de ce collectif, l’aîné passe son baccalauréat cette année et son frère est en première alors que leur mère travaille à plein temps en CDI dans une petite entreprise de la région. Rien ne distingue aujourd’hui ces deux adolescents de leurs camarades français, ils parlent français sans accent, l’un est membre de l’équipe de football du village et l’autre envisage une carrière dans la légion étrangère. Les valeurs morales des membres de ce collectif, leur humanité, leur générosité sont supérieurs à toute l’idéologie crasse de Zemmour et de l’extrême droite. Ce sont ces gens qui font l’Europe des Lumières, ma famille et moi, nous nous souviendrons longtemps qu’un bout de terre du Gard a servi de refuge à des enfants syriens qui ont fui la guerre.

[1] Marine peut remercier Poutine pour ses bombardements en Syrie –Un œil sur la Syrie 30 avril 2017 –  https://www.lemonde.fr/blog/syrie/2017/04/30/marine-peut-remercier-poutine-pour-ses-bombardements-en-syrie/

[2] Syria: Returning Refugees Face Grave Abuse –HRW- 20/10/2021 https://www.hrw.org/news/2021/10/20/syria-returning-refugees-face-grave-abuse#

[3] Viols, torture, disparitions : le terrible sort des réfugiés syriens qui rentrent dans leur pays – Amnesty International- 07/09/2021 https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/viols-torture-disparitions-refugies-syriens-qui-rentrent-dans-leur-pays

Firas Kontar

Franco-syrien, vit en France depuis 1998. Juriste et opposant au régime Assad, activiste de la révolution syrienne

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25 novembre 2021 18h03

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HERVE. V
HERVE. V
8 décembre 2021 21h25

Merci du fond du coeur pour cet article qui m’a touché. L’histoire de votre oncle résume bien la difficulté d’être réfugié. Paix à son âme. Merci au département du Gard et à tout ces gens qui ont encore un coeur. Je prie pour que le fasisme ne s’installe pas plus qu’il existe. Je hais déjà les futures élections en France, toute cette mascarade me donne la nausée. Je ne reconnais plus la France, je suis perdue. Croyons malgré tout à un monde meilleur, serrons nous les coudes, soyons solidaires tous ensemble.

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