Des tonnes de blé détruites par erreur au nom de l’écologie, en pleine période de crise d’approvisionnements

Ce que viennent de faire des militants qui se disent écologistes samedi près de Pontivy est criminel : bloquer une voie ferrée et déverser au sol les 1500 tonnes de blé transportées. Que ce soit en plus par erreur, alors qu’ils croyaient arrêter un train de soja, ne fait que rajouter la bêtise à l’ignominie. Dans le contexte actuel de tension sur les approvisionnements en céréales par suite de la guerre en Ukraine, c’est d’autant plus odieux.

Il est plus que temps de mettre nos boussoles intellectuelles à jour et de cesser de faire bénéficier d’un préjugé favorable automatique tout activiste qui se revendique écolo. Ou “pour la planète”. Ou “contre l’agriculture intensive”, “contre les fermes usines”. Ce sont des slogans, pas des réalités objectives.

Il faut rappeler qu’une coopérative céréalière, en France, ce sont des milliers d’agriculteurs de tailles diverses. On est loin  de la mythique multinationale qui spécule pour affamer la planète ! Pourquoi les cibler ? Par idéologie et par ignorance : les militants croyaient avoir affaire à une livraison de soja importé, et forcément soupçonné d’être OGM.

comparaison entre grains de soja et de blé
À gauche le soja, à droite le blé. C’est pourtant simple.

On passe sur le fait d’avoir détruit quand même le blé, qui ne ressemble pas au soja, de près ni de loin : ils devaient être trop excités pour s’arrêter. Mais l’idée que quelques wagons de soja présentent un danger tellement grave et imminent que cela justifie de faire dérailler un train est proprement délirante. J’insiste sur ce point : grave et imminent. Il y a une telle légende noire autour des OGM que quand les “faucheurs volontaires” et autres déstructeurs bien intentionnés se retrouvent devant les tribunaux, ils s’en tirent généralement avec une peine de principe, voire une relaxe pure et simple. Et ils passent ensuite pour des héros aux yeux d’un public travaillé lui aussi par les discours bien rodés sur les “Frankenfoods”…

J’espère sincèrement qu’ils sont allés trop loin, cette fois, que cette destruction stupide, alors qu’on craint des famines pour cette année en Afrique, sera un électrochoc salutaire.

À ce stade, on a besoin d’un changement non pas juste de la loi, mais de la culture de tout le pays. On ne peut plus, au XXIe siècle, continuer avec les catégories mentales d’il y a 200 ans, le romantisme d’une nature opposée au progrès, et donc aux activités humaines. J’ai discuté ici plus tôt comment cette idéologie favorisait des politiques illibérales. C’est aussi bien mal aider les citoyens à comprendre les enjeux du monde d’aujourd’hui. Quand ni les journalistes, ni les juges, ni ceux et celles qui font les lois n’ont un minimum de culture scientifique, comment peut-on espérer résister aux discours apocalyptiques sur l’agriculture, comme sur les vaccins d’ailleurs ?

Les élus ont un peu moins d’excuses, cela dit : être en contact avec le terrain devrait faire partie de leur travail. Eux devraient bien savoir ce qu’est une coopérative agricole, ou pourquoi diminuer les rendements ne peut se traduire que par une augmentation des surfaces cultivées. Mais les agriculteurs sont relativement peu nombreux aujourd’hui, victimes d’une certaine façon de leur succès : on n’a plus besoin, comme avant 1950, d’avoir la moitié du pays aux champs pour être autosuffisants, et même exporter des céréales. En France, des agriculteurs moins nombreux nourrissent une population plus importante, avec des surfaces qui ont légèrement diminué et une forêt qui a regagné du terrain. Hélas, le poids électoral d’une profession n’est pas corrélé à son utilité publique.

L’aggiornamento sur la politique européenne Farm to Fork annoncé par Emmanuel Macron jeudi dans son programme est un bon début. Prenons le temps aussi de réfléchir à ce qu’on enseigne à l’école (il y a ainsi trop de témoignages sur des professeurs expliquant aux élèves que l’agriculture biologique n’utilise pas de pesticides, ce qui est doublement trompeur), à la façon dont on traite les sujets “écologie” dans les médias, aux experts qu’on écoute, ou pas, dans les tribunaux…

Bref, utilisons un peu notre intelligence, au lieu d’accepter pour argent comptant les discours de militants qui prétendent sauver la planète mais ne sont pas capables de reconnaître une céréale d’une légumineuse.

Irène Delse

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