Didier Pourquery : la radicalité, un mal français ?


Journaliste, essayiste, responsable du site « The Conversation, France », Didier Pourquery a eu une riche carrière dans les médias. Rédacteur en chef à « La Tribune », « Métro », « Libération » puis au « Monde » et dans divers magazines, il est actuellement Président du site « The Conversation, France » et de « Cap Sciences ». Au cours des quatre dernières décennies, il a vu dériver le débat public, notamment sous l’influence des réseaux sociaux et de certaines chaines d’information en continu. Auteur de plusieurs ouvrages, cette homme aux réflexions approfondies vient de publier « Sauvons le débat. Osons la nuance » (Les Presses de la Cité). Face au jeu du tout polémique, et au moment où sur beaucoup d’écrans le débat tourne au clash, il nous dit dans ce livre que nuancer est essentiel pour sauver l’art de la conversation.

J’ai eu le plaisir de l’interviewer pour le site politique « La Revue Civique », pour lequel je travaille depuis début 2021.

En lien ma présentation de ce site sur mon propre blog.

En lien également l’intégralité de mon interview de Didier Pourquery.

Il faut absolument lire son ouvrage et l’avoir bien à l’esprit ; et ce, alors que la campagne de l’élection présidentielle nous semble à la fois pleine de bruit et de fureur, que de « punchlines » en polémiques les candidats se rappellent à nous presque chaque jour. Ce qui frappe en cette année 2022, c’est le score cumulé effrayant des deux candidats d’extrême-droite – Eric Zemmour et Marine Le Pen -, tandis que dans une gauche en perdition c’est un candidat radical qui domine ses concurrents. Alors, pourquoi ce succès de la radicalité, en France particulièrement ?

C’est une question qui doit intéresser particulièrement notre site de « Résistance aux Extrémismes ». Je reproduis ici ma série de questions et les réponses de Didier Pourquery sur ce sujet précis.


Vous dites : « La nuance, ce beau terme célébré par Montaigne mais honni dans notre pays où il faut être franchement révolutionnaire, franchement réactionnaire (…) pour exister sur la scène publique » : cette radicalité s’est-elle aggravée ces dernières années, et qu’est-ce que le « radical chic » évoqué dans votre livre ? Comment expliquez-vous ce contraste avec d’autres pays européens ? Un héritage culturel, alors même que nous sommes le pays de Montaigne et de Diderot ? Les institutions de la Vème République interdisent-elles les coalitions, donc les compromis ? Pourquoi aussi votre sévérité concernant le « En même temps » ? »
-Il n’est pas impossible que le système actuel du quinquennat avec élections présidentielle et législatives accolées, ne produise beaucoup de frustration et d’exaspération chez les citoyens. Une machine qui fabrique ainsi des majorités monolithiques -sur fond de faible participation- crée forcément, chez de nombreux Français, le sentiment de ne pas être (bien) représentés et de ne pas être entendus. On va alors crier plus fort pour être écoutés. De plus, les essais récents de démocratie directe comme cette convention citoyenne sur le Climat, très médiatisée mais guère prise en compte, produisent aussi de l’exaspération, sur fond de méfiance accrue vis-à-vis des pouvoirs. Il me semble, que tout cela pousse à la radicalisation.
À droite, la radicalisation s’appuie sur des ressorts dits « populistes », sur la réécriture de l’Histoire pour faire rêver d’un passé présenté comme glorieux, sur la prime à un bon sens rétrograde plus que conservateur. À gauche, elle utilise diverses voies dont celle de l’essentialisation, de la collapsologie parfois, de la prime donnée au communautarisme, à l’exclusion, à la réécriture de l’Histoire aussi pour effacer un passé présenté comme honteux. Dans les deux camps, on met en scène une polarisation caricaturant l’adversaire en ennemi et les discours clivant à l’extrême. On cherche l’irréconciliable.
Pendant que les extrémistes s’agitent ainsi, il est aisé pour un pouvoir sans cap autre que celui du « changement », sans vraie vision, de proposer un « En même temps » cynique qui lui permet de naviguer à vue en donnant satisfaction aux parties prenantes économiques (les « lobbys » pour faire court). De temps à autres, ce pouvoir feint de demander leur avis aux citoyens et ça donne le « Grand débat »… et des cahiers de doléances soigneusement archivés et occultés. Cela aussi est un simulacre de débat. Mais un simulacre soft, si l’on peut dire.
Or la démocratie doit chercher des espaces de dialogues, des lieux d’échange, d’écoute, de réflexion informée.
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