Les dangers d’une présidence Le Pen. Même à trois ans de distance, la perspective est alarmante.

Même à trois ans de distance, la perspective est alarmante.

 

Depuis plus d’un demi-siècle, le nom de Le Pen fait trembler la France libérale. Jean-Marie Le Pen, l’aîné, a rôdé pendant des décennies autour des marges politiques, faisant commerce de l’indignation xénophobe et de la provocation antisémite. Il était aussi habile pour susciter la peur et offenser l’establishment que pour obtenir des condamnations pour incitation à la haine raciale. Par deux fois, M. Le Pen a siégé au Parlement et, en 2002, il s’est présenté au second tour des élections présidentielles. Même à l’époque, personne ne prenait au sérieux la possibilité que l’ancien parachutiste fanfaron accède à la fonction suprême – ou qu’il le souhaite.
On ne peut pas en dire autant de sa fille, Marine.

Depuis qu’elle a pris la tête du Front national en 2011, rebaptisé Rassemblement national (RN), elle a transformé un paria en un parti qui se prépare à gouverner. Son protégé, Jordan Bardella, 28 ans, aujourd’hui président du parti, est le seul homme politique à figurer parmi les 50 personnalités préférées des Français, aux côtés de stars du football et de légendes du rock vieillissantes. Plus de 60 % des Français considèrent désormais le RN comme un parti politique comme les autres. Près de deux tiers des électeurs pensent qu’il peut gagner le pouvoir, contre 40 % en 2018. Une pluralité de Français ne craint plus qu’il soit un “danger pour la démocratie”.

La prochaine élection présidentielle française n’aura lieu qu’en 2027. Beaucoup de choses pourraient encore contrecarrer une victoire de Mme Le Pen, notamment un successeur crédible à Emmanuel Macron, à qui la Constitution interdit de se présenter pour un troisième mandat consécutif. Il a commencé à promouvoir une nouvelle génération, dont le premier ministre Gabriel Attal, âgé de 34 ans. L’un de ses anciens premiers ministres, Edouard Philippe, fait partie de ceux qui se préparent à une candidature. Cependant, Mme Le Pen sera une adversaire redoutable. En 2022, elle a obtenu le soutien de près de 42 % des électeurs ; la prochaine fois, elle fera mieux.

Il est donc grand temps d’examiner dans quelle mesure une présidence Le Pen changerait la France et l’Europe. La France n’est pas un pays comme les autres. Elle est dotée de l’arme nucléaire, est fortement centralisée et concentre des pouvoirs inhabituels entre les mains d’une seule personne, notamment la capacité de dissoudre le parlement, de nommer et de révoquer le premier ministre, et de nommer le chef des forces armées, des entreprises publiques, des institutions et de l’autorité de radiodiffusion. Dans l’Italie voisine, où la gestion relativement modérée de Giorgia Meloni tempère les inquiétudes de certains observateurs concernant un président Le Pen, le premier ministre est nommé par le président du pays, qui exerce un contrôle sur le pouvoir exécutif.

Bien que le RN ait été discipliné au Parlement, si Mme Le Pen est à l’Elysée, il pourrait accorder moins d’importance à la bonne conduite. Ses alliés politiques les plus proches en Europe sont des hommes forts autoritaires, dont le Hongrois Viktor Orban. La capture de l’État est un jeu de longue haleine ; le nouveau gouvernement polonais montre à quel point il est difficile de s’en défaire.

En dehors de la France, une présidence Le Pen mettrait en péril les fondements de l’Union européenne et remettrait en question l’engagement de la France envers l’alliance occidentale. La dirigeante du RN a peut-être abandonné ses appels au Frexit ou à la sortie de la France de l’euro.

(NDLT: Encore une fois la preuve que Le Pen a bien joué la dédiabolisation en cessant d’employer le mot Frexit devant le désastre du Brexit, or elle n’a jamais cessé de le vouloir, et son programme de 2022 est un Frexit qui ne dit pas son nom, tout y est en filigrane. Je pense que l’auteur de l’article ne l’a pas lu).

Le programme de Le Pen passé au crible : perte de droits et régression (avec liens)

Mais son projet de référendum visant à inscrire dans la Constitution la supériorité du droit français sur le droit européen la mettrait en porte-à-faux avec l’Union.*

( Frexit qui ne dit pas son nom , NDLT).*

Contrairement à l’atlantiste Mme Meloni, Mme Le Pen souhaite retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN et s’oppose à l’adhésion de l’Ukraine à l’alliance ou à l’UE.

Dans le meilleur des cas, une présidence Le Pen étoufferait le moteur franco-allemand de l’Union. Au pire, une alliance entre les dirigeants nationalistes et populistes de France, de Hongrie, de Slovaquie et, éventuellement, des Pays-Bas pourrait inciter Mme Meloni à changer de cap. En votant ensemble, ces pays seraient en mesure de réunir les 35 % nécessaires pour bloquer les décisions au sein du Conseil de l’Union européenne. Une Union européenne paralysée et divisée serait très différente du club qui existe aujourd’hui.

Même à trois ans de distance, la France et ses amis devraient examiner attentivement Mme Le Pen et son projet de pouvoir. Une présidence Le Pen n’est pas inévitable. Mais elle n’est plus impensable. Rien ne serait plus imprudent que de supposer que, si elle se concrétisait, la France, l’Europe ou l’OTAN continueraient comme avant. ■

Traduction : Murielle STENTZEL.

https://www.economist.com/leaders/2024/02/26/the-perils-of-a-le-pen-presidency

(Photo by Pier Marco Tacca/Getty Images)