Les médias d’extrême droite ont choisi Zemmour


Commençons tout de suite par donner le lien d’où est tirée cette illustration. Il s’agit d’un excellent article du « HuffPost », signé Romain Herreros et dont voici le lien. Je vous invite bien sûr à le lire, ce petit article se voulant juste une présentation.

Son titre – « La confrontation Le Pen/Zemmour vue à travers les médias ultra-conservateurs » mériterait d’être corrigé : traiter « d’ultra-conservateurs » des médias où les tenants d’une réaction franche et massive s’expriment largement, tandis que les sensibilités différentes, même timidement centristes, se font houspiller – voir mon article sur Pascal Praud – me semble une aimable litote. Faut-il rappeler la différence entre « conservateur » et « réactionnaire » ? Un conservateur ne veut pas que la société évolue, un réactionnaire voudrait son retour à ce qu’elle était « avant », et pourquoi pas dans un passé lointain : faire des débats sur l’égalité homme-femme, le droit des LGBT ou la peine de mort relève clairement de la seconde catégorie, or ce sont des sujets largement évoqués dans plusieurs émissions de CNEWS par exemple. Dans la mesure où il est question beaucoup d’Éric Zemmour dans cet article, comment nier que ce polémiste bientôt candidat se situe, par ses idées, ses outrances et son racisme, clairement à la droite de l’extrême-droite ?

Pour être tout à fait précis, je préfère le qualificatif « extrême-droite » au terme « fachosphère ». Cet dernier mot composé désigne d’une manière générale des sites, blogs, chaines Youtube, communautés sur les réseaux sociaux, qui sont depuis des années à la fois très actifs et très radicaux. Ils sont par ailleurs souvent complotistes. Or il est question dans cet article de médias que l’on peut trouver dans l’offre audiovisuelle – manque quand même Sud-Radio, très virulente – ou dans son kiosque à journaux, comme « Valeurs Actuelles ». Il est question aussi de « Livre Noir », média nouveau proposant des interviews filmées ou des reportages sur des personnalités clairement sélectionnées. Comme on le lira sur le « HuffPost », le directeur de cet acteur nouveau du paysage médiatique fait clairement la promotion d’Eric Zemmour depuis quelques temps ; son voyage à Budapest a ainsi fait l’objet d’une longue vidéo – lire à ce sujet l’article de Valentin Jaunet publié sur notre site. Dans l’illustration ci-dessus, on reconnait deux médias audiovisuels du groupe Bolloré, CNEWS et Euope 1.

Je ne peux que recommander la lecture urgente de l’enquête très fouillée réalisée par Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué, “Comment Vincent Bolloré mobilise son empire médiatique pour peser sur la présidentielle (“Le Monde”, 16 novembre 2021). Malheureusement réservé aux abonnés, il méritera peut-être un autre article de présentation, mais retenons déjà la conclusion principale : Ce magnat de la presse, à la fois par idéologie personnelle et pour des raisons personnelles, met tout en œuvre pour chasser de l’Élysée Emmanuel Macron à la l’occasion de la prochaine élection. Le “Huffpost” résume en quelques lignes le choix actuel de Bolloré : « Selon le quotidien du soir (ndlr « Le Monde »), Vincent Bolloré échange quotidiennement avec le candidat putatif à l’élection présidentielle, alors que Marine Le Pen n’a pas été reçue lorsqu’elle a demandé à rencontrer le patron de la chaîne pour se plaindre du traitement qu’elle reçoit. Il paraît loin le temps où, selon une anecdote du Canard enchaîné confirmée par Le Monde, la présidente du RN menaçait BFMTV de se passer de son antenne au profit de CNews. C’était en septembre 2020. À cette époque, elle réunissait jusqu’à 25% d’intentions de vote, contre 17% aujourd’hui (ndlr, à la date de parution de cet article de Romain Herreros). Entre temps, “les idées d’extrême droite sont passées à une échelle industrielle. On répète toute la journée que Marine Le Pen est de gauche. L’expression ‘grand remplacement’ (que récuse Marine Le Pen, NDLR) y est employée à foison”, décrypte Alexis Lévrier (ndlr. journaliste, spécialiste de l’histoire des médias), dépeignant ainsi une époque inédite sous la Ve République dans laquelle une galaxie médiatique se paye le luxe de choisir qui des deux candidats d’extrême droite devrait se qualifier au second tour de l’élection présidentielle. »

Le même article décrit également combien toutes les chaines du groupe sont mobilisées pour faire la promotion d’Eric Zemmour, ainsi C8, chaine dédiée au divertissement et pas à l’actualité. Autre extrait : « selon le décompte fait par Claire Sécail, chercheuse au CNRS, 40% du temps d’antenne politique de TPMP sur C8 a été consacré à l’essayiste depuis la rentrée. »

Enfin, Romain Herreros expose plusieurs raisons objectives expliquant ce choix des médias d’extrême-droite. D’abord, le basculement très à droite d’une partie importante de l’opinion publique ; plus un discours est radical, plus il semble avoir du succès dans le public concerné, c’est en tout cas le pari d’Éric Zemmour ; ainsi, des théories fumeuses comme « le grand remplacement » se sont banalisées. Le « recentrage » de Marine Le Pen, toujours ferme sur le sujet de l’immigration mais refusant d’entériner la guerre de religions pronostiquée – et clairement souhaitée – par Eric Zemmour, ne plait probablement pas aux rédactions des médias d’extrême-droite. Enfin, paradoxalement située « à gauche » sur les plans social et économique et ayant un support électoral fort dans les classes populaires, la candidate du Rassemblement National a un public jugé peu intéressé par ces médias. Dernier extrait de l’article, citant Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de « Valeurs actuelles » : « La vérité, c’est que Marine Le Pen en couverture, ça ne marche pas chez nous. Ça l’a vexée, mais c’est comme ça. Son électorat, en très grande partie populaire, n’achète pas la presse payante tous les jours. À l’inverse, Éric Zemmour vend très bien chez nous, comme chez nos concurrents, y compris de gauche. »

L’actualité va très vite, et le décrochage d’Eric Zemmour dans les sondages, des lâchages de politiques et des échecs divers sont venus plomber sa “pré-campagne”, depuis cet article du “HuffPost”. Les médias qui l’ont soutenu si fortement vont-ils prendre maintenant un virage, et ne plus lui accorder un traitement privilégié ? On le saura dans les prochaines semaines.

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30 novembre 2021 13h30

[…] commentaires, et en complément à mon article publié vendredi dernier sur les médias […]

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