La gauche radicale et la droite radicale sont devenues indiscernables.
Tant que le centre ne parviendra pas à défendre sa cause de manière galvanisante, il y aura beaucoup d’autres personnes comme Sahra Wagenknecht.
Sahra Wagenknecht, la femme politique allemande du moment, est-elle d’extrême droite ou d’extrême gauche ?
Je pose la question parce que dans un article que j’ai écrit à la veille des élections dramatiques du 1er septembre en Saxe et en Thuringe, je l’ai qualifiée d’extrême droite, mais j’ai reçu une série de commentaires de lecteurs insistant sur le fait qu’elle était d’extrême gauche.
À l’époque, j’ai maintenu ma position. Mais après réflexion, je pense aujourd’hui que cet argument n’est pas du tout pertinent. Wagenknecht a rendu les étiquettes politiques superflues.
Le problème auquel l’Allemagne est actuellement confrontée – ainsi que l’Europe et une grande partie du monde – va au-delà de la terminologie. La nouvelle ligne de fracture oppose le courant dominant au courant populiste ou, dans le cas des accords politiques d’après-guerre en Allemagne, les partis établis aux partis insurgés.
En mai dernier, le Financial Times a fait état de l’ampleur de la popularité des politiques extrêmes parmi les jeunes Européens. Les termes « gauche » et « droite » – qui font référence à la répartition des sièges à l’Assemblée nationale formée après la Révolution française de 1789 – ne signifient pas grand-chose pour cette génération et, de plus en plus, pour les plus âgés.
Les clivages économiques et sociaux qui dominaient le débat politique jusqu’à récemment n’ont plus cours. Par exemple, de nombreux membres de la droite radicale actuelle – du Rassemblement national (RN) français à l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et à l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) – préconisent un rôle majeur pour l’État. Seuls quelques-uns, dont les Républicains de l’ancien président américain Donald Trump, appellent à la déréglementation et aux réductions d’impôts, tandis que le ReformUK et d’autres partis tentent de jouer sur les deux tableaux.
De même, en matière de politique sociale, certains partis – du RN au Parti de la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas – sont relativement libéraux, en partie pour attirer ceux qui considèrent que l’immigration musulmane porte atteinte à la souveraineté de leur pays. Toutefois, plus on se dirige vers l’est du continent, plus ces partis épousent les valeurs familiales traditionnelles, comme le montre le parti Droit et Justice en Pologne ou la coalition au pouvoir en Slovaquie.
Il est intéressant de noter que le principal dénominateur commun entre ces groupes semble être leur soutien discret ou ouvert au président russe Vladimir Poutine. Le sentiment pro-russe, qui était autrefois l’apanage de l’extrême gauche, est aujourd’hui celui de l’extrême droite, et le Kremlin est heureux d’embrasser et de financer les deux.
C’est le fer à cheval en action, et Wagenknecht est le nouveau membre le plus important et le plus complexe de ce club – elle fait également partie d’une catégorie à part.
Décrite par le magazine de droite Compact, récemment interdit, comme « la tentation nationale la plus séduisante depuis la fondation du socialisme », Mme Wagenknecht a rejoint le parti communiste est-allemand juste avant la chute du mur et est devenue l’une des dirigeantes du parti qui lui a succédé, la Gauche. Lassée, elle a poliment repoussé les avances de l’AfD pour créer son propre groupe, en son nom propre et en reflétant son image glamour.
En l’état actuel des choses, les deux cartes de visite de Mme Wagenknecht – ou du moins les deux que son parti a utilisées avec un succès éclatant lors de leur récente campagne et qu’il redéploiera sans aucun doute lors des élections dans le Brandebourg le 22 septembre – consistent à demander la fin du soutien de l’Allemagne à l’Ukraine et une répression des demandeurs d’asile, en mêlant ces deux éléments dans un réquisitoire général contre les courants dominants.
Nous avons, bien sûr, déjà vu cela auparavant. Cette convergence de l’extrême gauche et de l’extrême droite a également été l’une des fascinations macabres du référendum britannique sur le Brexit, qui s’est déroulé dans la folie, en 2016. On a beaucoup écrit sur les anciens membres du Parti communiste révolutionnaire qui voyaient dans l’ancien Premier ministre Boris Johnson un talisman anti-establishment.
Où commence le Brexit et où finit le Lexit ? Les partisans de gauche de la sortie de l’UE ont toujours été une bande curieuse. L’ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis, par exemple, a affirmé après coup qu’il ne soutenait pas le Brexit, mais, qu’il en ait eu l’intention ou non, il a déployé les mêmes arguments que ceux de la gauche radicale – et de la droite radicale – qui voulaient sortir de l’UE. Alors que les eurosceptiques conservateurs reprochaient à Bruxelles d’être une cabale dépensière et irresponsable, ceux de gauche y voyaient une conspiration corporatiste antidémocratique. Quelle est la différence ?
Les deux camps ont déployé un discours similaire, même s’ils partent de points de départ différents, celui d’une Union européenne qui a dépassé sa date de péremption. « L’Union européenne a atteint un stade avancé de désintégration. Il y a deux possibilités pour son avenir : soit elle n’a pas franchi le point de non-retour et peut encore être démocratisée, stabilisée, rationalisée et humanisée. Ou bien la désintégration est certaine », a affirmé M. Varoufakis.
Aujourd’hui, ces forces d’extrême gauche et d’extrême droite détiennent la majeure partie de l’élan politique, en partie parce que la perturbation est sexy et en partie parce que le camp dominant est déconnecté et patauge. Dans l’état actuel des choses, rares sont ceux qui sont prêts à défendre l’ordre établi après 1989.
L’un de ceux qui le font est l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, qui n’a pas froid aux yeux. Insistant dans une récente interview à la BBC sur le fait que « le monde ne va pas ralentir », il a affirmé que la solution consistait à préparer les gens à des changements rapides plutôt que d’essayer de prétendre qu’il était possible de les ralentir.
Il admet également que beaucoup se sentent en colère et désorientés : « Lorsque les gens ont l’impression que le monde change d’une manière sur laquelle ils n’ont pas beaucoup de contrôle, ils s’accrochent à leur identité. Mais si ses arguments sont cohérents et logiques, ils ne tiennent guère compte de la politique électorale actuelle – peut-être parce qu’il n’est plus en fonction depuis longtemps.
Ensuite, parfois cité comme l’héritier de Blair – du moins au début de sa présidence -, il y a le président français Emmanuel Macron, qui a tenté d’atténuer son message sévère sur les vents froids du changement économique. Pourtant, il est toujours considéré comme un homme de Davos.
Le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre britannique Keir Starmer s’abstiendraient d’une telle rhétorique, estimant que le principal espoir du courant politique réside dans l’amélioration constante de la vie des citoyens. Mais Scholz entre maintenant dans le crépuscule de sa chancellerie, avec une défaite aux prochaines élections générales allemandes presque certaine, laissant un vide à combler pour l’AfD et la BSW. Quant à M. Starmer, il vient à peine d’entamer son mandat et dispose de cinq ans pour vérifier que des mesures pragmatiques peuvent arrêter le mouvement populiste.
En Europe et ailleurs, la gauche radicale et la droite radicale sont devenues indiscernables. Et tant que le centre s’efforcera de défendre sa cause d’une manière qui galvanise, il y aura beaucoup plus de gens comme Wagenknecht.
https://www.politico.eu/article/far-right-afd-radical-left-politics-russia-germany-europe/
Traduction : Murielle STENTZEL.
NDLT : On le voit particulièrement chez nous, quand on lit les programmes de LFI et du RN. Dans les deux programmes, un Frexit qui ne dit pas son nom (sortie des traités européens), sortie de l’OTAN, volonté de rapprochement avec la Russie etc. Souvent aussi, sur Twitter , si on ne prête pas attention à l’auteur du tweet, on ne sait plus qui est qui, tellement les éléments de langage sont les mêmes. Leurs votes contre les aides à l’Ukraine aussi sont des marqueurs de similitude.