L’ombre du mafieux, par Philippe Souaille.

27.02.24 – L’ombre du maffieux
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Autant Poutine n’en a rien à cirer – c’est le genre de terme d’argot qu’il aime employer pour parler à son peuple – des victimes de sa guerre, envoyant au hachoir à viande les pauvres hères sans hésitation, laissant la troupe abandonner les siens sur le terrain, autant il entend soigner les spetsnaz de ses services spéciaux. La crème des assassins du FSB, envoyés en Espagne, en Suisse, en Savoie ou en Angleterre et bien sûr aux USA, pour espionner, tuer, découvrir des renseignements essentiels ou assumer de basses besognes en territoire ennemi, à savoir chez nous.
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Ceux-là, il tient à les récupérer coûte que coûte. Pour qu’ils sachent en partant en mission à l’étranger qu’ils ne seront pas abandonnés et pour qu’ils n’aient pas envie de trahir et de raconter ce qu’ils savent. Parce que même si c’est très compartimenté, un agent dressé aux missions extérieures en sait forcément bien plus, ne serait-ce que sur les ordres reçus, qu’un simple mobik sur le front. Pour plus de sécurité, on assassine ceux qui ont trahi et on le fait de manière ostensible, que le message passe : « Si vous la fermez, on vous échangera, si vous l’ouvrez, on vous tuera »…
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Et puis aussi un message à l’occident : Nous, à Moscou, on règne par la terreur et si vous nous tenez tête, nous serons féroces. Un chantage auquel bien sûr, il ne faut pas accorder trop d’importance. La terreur est mauvaise conseillère et n’engendre que des adhésions superficielles.
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C’est à cette aune qu’il faut jauger les décès de ces derniers jours. Pour le pilote russe assassiné dans le sud de l’Espagne, c’est limpide. Pour Navalny, c’est plus compliqué, il faut revenir un peu en arrière : il y a quelques semaines, Moscou et Washington se mettent d’accord sur l’échange d’un assassin du FSB arrêté en Allemagne (où il avait tué un leader indépendantiste tchétchène) contre les deux Américains détenus en Russie pour espionnage (un journaliste et un ancien marine). Sauf que dans le monde occidental, les Etats demeurent souverains et l’Allemagne refuse de livrer l’assassin.
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A quel moment les Allemands rajoutent-ils Navalny dans l’équation, je ne sais pas, mais c’est apparemment ce qu’ils font. Ce qui s’explique. C’est en Allemagne que Navalny s’est fait soigner, c’est l’Allemagne qui était parvenue à le faire sortir de Russie. Bref ils y tiennent, plus qu’à deux américains accusés par la Russie d’être des pions de la CIA. Sauf que Poutine veut récupérer son assassin, mais n’a pas envie de livrer Navalny, à quelques semaines de l’élection.
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Pour appuyer le message, il fait tuer l’ancien pilote d’hélicoptère en Espagne, histoire de bien marquer le coup et de rappeler aux Russes, mais surtout aux occidentaux qu’il peut frapper partout…Et dans la foulée, il fait tuer Navalny. Alors bien sûr, le chef des services ukrainiens, généralement admirablement renseigné, laisse entendre que Navalny est bien mort d’une thrombose. Mais une thrombose, ça peut se provoquer et l’on sait les labos russes assez en pointe dans l’exploration de tout ce qui peut tuer discrètement, ou ostensiblement.
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Sinon, plusieurs nouvelles importantes hier :
– le oui du parlement hongrois à l’entrée de la Suède dans l’OTAN
– le serpent de mer de la livraison à l’Ukraine de Mirage 2000 qui resurgit au moment où les avions russes tombent comme des mouches. Il n’y a pas de fumée sans feu. Les F16 arrivent et cela va aider.

– la conférence de Paris, qui a réunit en urgence plus d’une vingtaine de pays européens, plus le Canada et les USA, pour muscler la défense de l’Ukraine, quoiqu’il puisse se passer aux Etats-Unis. On y a notamment commencé à parler officiellement d’envoi de troupes occidentales sur le terrain, notamment pour des tâches de logistique et d’appui. Également pour contrôler l’usage d’armes de longue portée, afin que l’Ukraine puisse en disposer, sur le pont de Kerch par exemple, mais pas pour frapper la Russie à l’intérieur de ses frontières.

– L’Inde serait sur le point de livrer d’importantes quantités de munitions à des pays européens qui pourraient ensuite les livrer à l’Ukraine.
– Le Shri Lanka se prépare à expulser 300 000 citoyens russes présents sur son territoire après que ceux-ci aient créé des zones « white only ».
– Les entreprises russes ont créé 11 000 filiales – généralement d’import export – à l’étranger depuis deux ans, dont 9000 en Serbie, devenue ouvertement l’antichambre de Moscou. Les Emirats viennent en second, avec plus de 1000 ouvertures, l’Arménie (en bisbille avec Moscou) et le Kirghizstan se répartissant le reste.

– Le Kremlin a ouvert un budget de plus d’un milliard d’euros – et c’est beaucoup d’argent, une fois et demi le budget du CNC français – à la production de contenus diffusant une image favorable de « l’opération spéciale » et du Président Poutine en vue des élections. Des films, des séries télés et du contenu pour internet. Entre autres une série nommée “RDA” qui narre les aventures d’un agent du KGB en Allemagne de l’Est durant la guerre froide (toute ressemblance avec un certain Poutine serait tout sauf fortuite) ou un remake de Roméo et Juliette, entre un jeune soldat russe et une ukrainienne…
– Dans la foulée de ces fuites, on a appris aussi combien touchaient les propagandistes de la télé officielle moscovite : 15 millions d’euros pour la boîte de prod de Soloviev en 2023, 30 millions prévus pour 2024…

Article de Philippe Souaille (journaliste et politologue Suisse)