Mélenchon, l’idiot utile de Poutine.

Mélenchon, l’idiot utile de Poutine.

(Publié par le Global Ideas Center à Berlin sur The Globalist.]

Le chef de la gauche française dit qu’il court contre ce que Macron représente. Mais malgré ses airs populistes, il pousse les objectifs de la politique européenne de Poutine.

Les partenaires de la France au sein de l’UE ont poussé un soupir de soulagement après la réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la France. Mais maintenant, en vue des prochaines élections législatives – dont le premier tour se tiendra le dimanche 12 juin 2022, une grande partie de l’Europe est à nouveau en mode inquiétude.

La dirigeante de droite radicale Marine Le Pen et le dirigeant de gauche radicale Jean-Luc Mélenchon cherchent à se venger de la victoire de Macron à l’élection présidentielle. Ils ont l’opportunité de former des groupes beaucoup plus forts à l’Assemblée nationale. Ils espèrent même écraser la majorité de Macron – et utiliser cette base de pouvoir pour faire sortir la France de l’UE.

Premier ministre Mélenchon ?

« Élisez-moi comme Premier ministre ! est la demande de Mélenchon aux Français. Son appel aux électeurs n’est pas vraiment conforme à la constitution française, qui donne au président le droit de nommer le Premier ministre.

Bien sûr, le résultat des élections législatives a une incidence sur la nomination du Premier ministre. Mélenchon poursuit une stratégie politique impensable il y a encore quelques années.

Il a unifié les ennemis politiques de gauche et espère faire appel à l’extrême droite dans le but de faire subir la défaite à Macron en devant nommer un Premier ministre de l’opposition.

 

N’ignorez pas l’extrême gauche ! Liens entre la gauche radicale européenne et la Russie

Les contraires s’attirent?

La France a déjà connu ce qu’on appelle la « cohabitation » par le passé. Ce terme décrit une réalité politique où un président conservateur doit composer avec une majorité parlementaire de socialistes, ou l’inverse.

Cela s’est avéré réalisable à l’époque, car la constitution française sécurise la politique étrangère et la défense comme domaines du président. La politique économique et sociale relève de la responsabilité du Premier ministre. La politique européenne, en revanche, relève de la responsabilité conjointe des deux.

Les présidents Mitterrand et Chirac, qui avaient respectivement des Premiers ministres conservateurs et socialistes, pouvaient gérer ce processus car il n’y avait pas de différences irréconciliables entre les principaux partis à l’époque.

Avec Macron et Mélenchon, pourtant, le défenseur de la souveraineté européenne et son fossoyeur seraient face à face. La voix de la France dans l’UE serait au mieux neutralisée. Les progrès sur la défense, l’économie numérique ou le virage écologique, par exemple, ne seraient plus possibles.

Mélenchon, le faiseur d’alliances.

Pour maximiser ses chances, Mélenchon a passé un pacte avec les Verts, les socialistes et les communistes. Son but est de convenir d’un candidat commun pour chaque siège parlementaire.

En raison de la règle du scrutin uninominal à un tour en France, sans un tel accord, les votes des partis (et des candidats) ayant une part de vote inférieure seraient effectivement gaspillés.

Parce que l’ex-trotskyste, ex-socialiste de 71 ans a obtenu environ 22% des voix à l’élection présidentielle, il se voit en position de force par rapport aux autres forces politiques à la gauche de Macron.

Pour obtenir une part aussi importante du gâteau politique en France, les Verts, les socialistes et les communistes ont signé l’accord avec Mélenchon.

Verts à guichets fermés ?

Mais il y a un prix politique important à payer. Les Verts (EELV), par exemple, ont renoncé à leur substance pro-européenne en échange de la promesse de Mélenchon de donner aux candidats verts le droit d’être tête de liste du bloc dans 100 circonscriptions.

Il y a quelques semaines à peine, le candidat des Verts à la présidentielle, Yannick Jadot, s’était exclamé “Nous sommes un parti pro-européen !”. Cependant, comme son taux de vote était inférieur à 5 %, son ennemi juré au sein du parti, l’eurosceptique Julien Bayou, est maintenant aux commandes. Il a été disposé à vendre l’identité européenne des Verts pour une meilleure chance d’obtenir plus de sièges parlementaires.

Un danger pour l’Europe ?

Pourquoi un bloc de gauche dirigé par Mélenchon est-il un danger pour l’Europe ?

L’ex-sénateur riche qui aime toujours se présenter comme un homme du peuple poursuit un programme politique qui, à bien des égards, ressemble à celui de Marine Le Pen – même si les deux représentent des pôles politiques opposés.

Mélenchon veut détruire l’UE, faire sortir la France de l’OTAN, priver l’Europe de ses propres capacités de défense.

À bien des égards, l’agenda et les convictions profondes de Mélenchon font de lui le proverbial “idiot utile” de Vladimir Poutine. Comme preuve supplémentaire, considérez par exemple comment il a commenté la guerre barbare de Poutine en Syrie : « Je félicite la Russie pour ses actions en Syrie.”

https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2016/02/21/25002-20160221ARTFIG00062-melenchon-felicite-la-russie-pour-son-intervention-en-syrie.php

 

Dans le camp russe.

En janvier 2021, Mélenchon affirmait catégoriquement : « Économie, commerce, civilisation – tout nous relie à la Russie » – ajoutant que la France s’en est toujours bien tirée lorsqu’elle a cherché à resserrer les rangs avec la Russie.

Et même lors du déploiement des troupes russes à la frontière ukrainienne, il s’est tenu fermement aux côtés de Poutine : « Les Russes mobilisent leurs troupes à la frontière ? Qui n’en ferait pas autant face à un tel voisin, un pays lié à une puissance étrangère et menaçant en permanence la Russie ?

M. Frexit

Il nie également l’idée et la finalité d’une capacité de défense européenne : « L’Europe de la défense ne peut pas exister, elle n’est qu’un pilier de l’OTAN.

https://www.europe1.fr/politique/melenchon-propose-des-alliances-altermondialistes-hors-de-lotan-4097757

Tout comme la droite radicale, il dit que son “Plan A” est une “désobéissance” à l’UE. S’il devenait Premier ministre, la France désobéirait à toutes les parties du droit européen qui le dérangent. Si l’UE n’avale pas cela, la France partira tout simplement : Frexit.

https://www.france24.com/fr/france/20220504-d%C3%A9sob%C3%A9issance-aux-trait%C3%A9s-europ%C3%A9ens-pour-le-meilleur-ou-pour-le-pire

La culture politique tordue de la France.

Cela en dit long sur la culture politique française que des thèses populistes aussi primitives que celles que Mélenchon présente avec tant d’empressement puissent passer pour de la politique de gauche en pleine guerre d’Ukraine.

Les socialistes, qui ont été les plus critiques dans la formation de la structure et de l’identité de l’UE moderne avec des politiciens comme Mitterrand, Delors et Hollande, sont, comme les Verts, prêts à l’abnégation : leur pâle chef Olivier Faure veut aussi s’incliner sous l’anti- Joug de l’UE.

Heureusement, de nombreux élus socialistes l’ont par la suite accusé de trahir l’identité du PS et refusent de suivre son cours. Monsieur Faure reste cependant prêt à se jeter dans les bras accueillants de Mélenchon, dans l’espoir d’obtenir des sièges parlementaires pour son parti.

Un regard sur les sondages.

La dernière enquête d’opinion (réalisée par OpinionWay) montre la gravité du danger. Ils prédisent qu’un bloc de gauche battra le camp de Macron au premier tour avec 28 % des voix. La République en marche de Macron, rejointe par deux petits partis, n’obtiendrait que 27 %. Le Rassemblement national de Le Pen serait juste derrière.

Bien sûr, il est presque impossible de calculer ce que signifiera ce tableau pour le second tour de scrutin une semaine plus tard, le 19 juin, ainsi que pour la répartition finale des sièges entre les différents partis politiques.

En effet, il existe des particularités locales dans chaque circonscription. Les candidats proches de Macron peuvent espérer être élus dans de nombreuses « circonscriptions » (= circonscriptions électorales) au second tour par les électeurs conservateurs. Le bloc de gauche, en revanche, aurait déjà largement épuisé son réservoir d’électeurs au premier tour .

Mélenchon à la pêche aux électeurs Le Pen.

C’est pourquoi OpinionWay prévoit une nouvelle majorité pour Macron, avec 310 à 350 sièges à l’Assemblée nationale (sur un total de 577). Le bloc de gauche devrait obtenir entre 135 et 165 mandats. C’est beaucoup plus qu’avant, mais loin d’atteindre la majorité – à moins bien sûr que de nombreux électeurs de Le Pen ne franchissent le pas pour voter pour des candidats de gauche.

Un tel renversement est une possibilité distincte à ne pas écarter, étant donné que le parti de Le Pen n’aura pas une forte performance, n’atteignant que 20 à 40 sièges. La haine instinctive de Macron, tant à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite, est telle que les troupes de Mélenchon spéculent probablement secrètement sur des voix supplémentaires.

Officiellement, bien sûr, il se présente comme un « barrage contre la droite ». Mais les positions du bloc de Mélenchon et du « Rassemblement » de Le Pen sont très similaires vis-à-vis de l’Europe, de l’OTAN, de la défense et de la Russie. Ils sont également unis dans leur rejet de la réforme des retraites de Macron.

Le président souhaite relever l’âge de la retraite à 65 ans. Il s’agit d’un âge minimum si le système de retraite français veut  rester financièrement viable sans surcharger les cotisants. Mais Mélenchon et Le Pen s’en fichent : ils veulent même abaisser la limite d’âge, à 60 ans.

Amoureux de l’agriculture, vraiment ?

Il n’y a pas non plus de différence entre Mélenchon et Le Pen dans leur adoration turgescente des agriculteurs français. Ces derniers sont les champions européens de l’utilisation des pesticides et de l’importation de soja dont la culture n’est possible qu’au détriment des forêts tropicales humides.

Mais la mystique alliance rouge-brun sur l’agriculture les placent, dans leur propre perception, en gardiens écologistes du sol national, et en forces inébranlables pour protéger la France des méfaits de la mondialisation.

C’est le prétexte pour eux de rejeter les accords de libre-échange de l’UE avec les pays émergents. Pour le plus grand plaisir de la Russie et de la Chine, dont elle renforce l’influence si l’Europe ne se réseaute pas mieux à l’international.

Blâmer Macron de dire la vérité.

Dans un passé récent, les dirigeants de gauche et de droite ont unanimement diffamé Macron comme l’incarnation d’un politicien antisocial, obsédé par la mondialisation et arrogant.

Et aujourd’hui, ils sont déterminés à bloquer tout ce qu’il fait. Macron a nommé Elisabeth Borne, une femme politique de gauche, ancienne proche collaboratrice de l’ex-Premier ministre Lionel Jospin de l’aile gauche du Parti socialiste, comme son nouveau Premier ministre. Et bien non, Mélenchon ne l’admet pas : « C’est une politicienne de droite !   fut sa réaction.

Si Mélenchon réussit sa stratégie électorale, le défenseur de la souveraineté européenne (Macron) et son fossoyeur (Mélenchon) domineraient le parlement français.

Et les populistes d’extrême gauche et d’extrême droite seraient plus forts que jamais dans la France d’après-guerre, tandis que les socialistes et les conservateurs, qui ont dominé la politique française pendant des décennies, vont presque disparaître.

Les idiots utiles de Poutine feront tout ce qu’ils peuvent pour devenir encore plus forts au cours des cinq prochaines années. La guerre de Poutine en Ukraine ne se déroule pas comme prévu, mais son agression silencieuse pour saper les démocraties occidentales progresse régulièrement.

Mélenchon as Putin’s Useful Idiot

Publié par le Global Ideas Center à Berlin sur The Globalist.] en Mai 2022.

Article de Thomas HANKE, traduction Murielle STENTZEL.

 

Credit Photo Anti K.