Parrainages, carabine et vidéo, par Éloïse Lenesley

Quiconque s’attache au bon fonctionnement de la démocratie ne peut avoir un avis tranché face à un prétendant à l’Élysée en manque de parrainages. D’un côté, ce système a été mis en place pour barrer la route aux candidatures fantaisistes ; mais il risque aussi de contraindre à l’abandon un postulant qui recueille quelque 15 % d’intentions de vote, tandis que d’autres, ne dépassant guère les 3 ou 4 %, ont décroché le précieux sésame.

On arguera que c’est la règle du jeu, et qu’un candidat qui a bâti sa carrière médiatique sur la polémique, la provocation, l’invective, puis qui a amorcé sa campagne avec insultes, doigt d’honneur et autres outrances dont sont avides ses thuriféraires, ne peut s’étonner de susciter un rejet massif. Peut-être Éric Zemmour et son équipe ont-ils péché par fatuité et surestimé la popularité des idées qu’ils défendent. Certes, les Français sont préoccupés de longue date par la submersion migratoire, l’insécurité, le communautarisme. Mais ils n’ont pas envie pour autant de voir ces thématiques abordées avec agressivité voire acrimonie. Ils n’ont pas davantage envie d’entendre des propos sexistes et rétrogrades, et encore moins d’assister à une réhabilitation d’un maréchal Pétain prétendument sauveur de juifs (car quoi qu’en dise monsieur Z, il s’agit bien d’une réhabilitation consistant à « reconnaître la valeur, l’utilité de quelqu’un, de quelque chose après une période d’oubli, de discrédit », nous confirme l’ami Larousse). Résultat, après une percée supersonique dans les sondages, la bombe Z retombe peu à peu. On comprend que les élus ne se bousculent pas au portillon pour lui offrir leur signature.

Par ailleurs, comme l’explique un article du Point, Zemmour et son entourage se sont eux-mêmes privés, par leur arrogance, de l’aide de militants de terrain comme Joël Huvet, cofondateur du mouvement Zou, qui a préféré jeter l’éponge après avoir collecté une dizaine de parrainages : « On s’y est mis dès la mi-août. J’avais constitué une équipe d’élus pour convaincre d’autres élus. On avait réussi à convaincre un parrain élu sur la liste de David Rachline à Fréjus. On en avait déjà une petite dizaine alors que Zemmour ne s’était pas encore déclaré. Malgré cela, un jeune arriviste de l’équipe de Zemmour chargé de centraliser les parrainages, sans doute jaloux de notre efficacité, nous méprisait, on a fini par laisser tomber. » Ils payent aujourd’hui le prix de leur désorganisation et de leur entre-soi.

Pour un élu, accorder publiquement son parrainage à un personnage aussi controversé n’est pas chose facile, même si ce geste ne signifie pas qu’il adhère à ses convictions. Il se verra forcément accusé de semer la pagaille, de contribuer à nourrir le phénomène, d’affaiblir une concurrence plus légitime. Peut-on, doit-on, au nom de la démocratie, faire fi de tous les excès de monsieur Z, de ses condamnations, de son amateurisme, et lui permettre de poursuivre la course ? Faut-il, comme le demande un collectif d’élus dans une tribune publiée par Libération, refuser mordicus de le parrainer et ainsi couper court à sa reconversion en politique ?

Le problème ne se limite pas à Éric Zemmour mais aux courants et groupuscules qui le soutiennent. Et c’est là que ça devient dangereux. Des cathos tradis aux courants d’ultradroite, le journaliste attire comme des mouches fanatiques et extrémistes, qui n’hésitent pas à propager en vidéo sur Internet des appels au meurtre censés être humoristiques, arme à la main, sans se soucier du tort qu’ils pourraient causer à leur idole (c’est dire leur degré de réflexion). Il est vrai que chez les droitards, aboyer des incitations à la haine est le summum du subversif, l’antidote contre la bienpensance. Mais depuis la tragédie Samuel Paty, que Zemmour aime à évoquer régulièrement lors de ses interventions télévisées, on sait qu’il y a des choses avec lesquelles il vaut mieux s’abstenir de ricaner ces temps-ci. On ne peut impunément s’amuser à vouloir canarder du « gauchiste », du « bougnoule mental », du « Garrido sauvage » et ce, quoi qu’on pense des Insoumis, de leur clientélisme, de leur intolérance et de leur détestable clabaudage.

Il aura fallu patienter quarante-huit heures pour voir Éric Zemmour se désolidariser enfin de ces vidéos ineptes, qualifier le spectacle de « pitoyable » et ses protagonistes d’« idiots » cherchant de « nouveaux alibis » à leur « passion destructrice » (il les trouve manifestement moins « respectables » que les djihadistes). Une réaction tardive guère étonnante quand on sait qu’il se targue d’être ami avec l’influenceur Papacito, auteur du même genre de « plaisanteries » carabinées. Les répercussions ne se sont, elles, pas fait attendre : la façade du domicile de l’écologiste Sandrine Rousseau a été dégradée par des militants zemmouriens, de même que la permanence du député Adrien Quatennens. Plus étonnant, Marine Le Pen a, elle aussi, été visée par des injures. Où s’arrêtera-t-on ? Jusqu’à présent, de telles dérives étaient plutôt la spécialité de l’ultragauche. Mais la récurrence de mouvements sociaux jusqu’au-boutistes a infusé une violence au quotidien qui se déporte du virtuel au réel et dont les personnalités politiques sont devenues la cible privilégiée.

Au-delà de la personne d’Éric Zemmour, c’est toute une engeance aux comportements belliqueux et délétères qu’il faut combattre sans ambiguïté, qu’on soit de gauche ou de droite. Si Reconquête devait s’affirmer à l’avenir comme une véritable force politique hexagonale, ce serait conférer à ces mouvances une portée inespérée et décupler leur zèle. Ce serait banaliser un peu plus dans le débat public des convictions obscurantistes (antivax, antiprogrès, antitout) et une hargne en roue libre. La lutte contre des menaces sociétales et civilisationnelles que l’on nomme wokisme, cancel culture ou séparatisme ne se gagnera pas par l’adoubement de gourous médiatiques tout aussi radicaux et générateurs de chaos. Parrainer un candidat, d’un extrême ou de l’autre, qui souffle sur des braises insurrectionnelles et qui tergiverse avant de les éteindre est dans l’absolu problématique.

Mais en fin de compte, Éric Zemmour souhaite-t-il vraiment obtenir ses parrainages et poursuivre l’aventure en se contentant d’une place de quatrième ou cinquième couteau qui dissipera son influence sur cette campagne et le cantonnera à un score de 10 ou 12 % ? Le manque de parrainages ne serait-il pas un prétexte providentiel pour abandonner sans perdre la face et sans décevoir ses adorateurs ? Qui sait.

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions connaître votre avis.x