Pascal Praud, les pros du COVID


On ne présente plus Pascal Praud. Chroniqueur sportif à l’origine, s’étant rendu célèbre par l’émission « On refait le match » sur RTL, il a ensuite produit une émission à succès, « L’heure des Pros » sur i-télé devenu aujourd’hui CNEWS, et qui a une suite le soir de 20 heures à 21 heures.

Cette émission a deux caractéristiques principales. D’abord, une orientation « à droite toute » qui est celle des médias passés au main du groupe Bolloré. Pour être plus précis et pour m’être habitué à ses plateaux du lundi au vendredi, on peut dire que les chroniqueurs associés sont simplement de droite pour 40% d’entre eux ; d’extrême-droite dans la même proportion (pour ne citer qu’eux, Jean Messiha encarté au Rassemblement National, Elizabeth Lévy ou Charlotte d’Ornellas) ; les 20% restant étant maigrement représentés par Gérard Leclerc et Laurent Joffrin, que l’on situerait au plus au centre-gauche, et qui ne semblent n’être là que pour servir de paillasson au « tenancier du bistro du matin » et producteur de la série.

La deuxième caractéristique est une culture du clash, entre les chroniqueurs réguliers, à l’occasion contre certains invités, mais surtout en faisant passer des déclarations « border line », d’invités sur le plateau ou repiquées dans les informations ; déclarations qualifiées de « contre la pensée unique », et répondant parfaitement à phrase fétiche de Pascal Praud : « on ne peut plus rien dire ». En fait, son émission se situe parfaitement dans la gamme des « infotainments », concept né aux Etats-Unis et mêlant à la fois l’actualité et le divertissement : un genre popularisé chez nous par Thierry Ardisson et Laurent Ruquier, et qui hélas propulsa en tête de gondole Eric Zemmour. Ajoutons aussi que, comme cela a été parfaitement analysé par Irène Delse sur ce site, « la tenaille de Bolloré » suit une mécanique implacable, « C8 donne le spectacle de l’impunité des “racailles” vis-à-vis de la justice ; CNews sonne l’alarme sur la “culture de l’impunité” et donne largement la parole à la droite dure et à l’extrême-droite. »

L’épidémie du COVID-19 a été un des aliments essentiels de « L’heure des Pros » depuis maintenant plus d’un an et demi, avec un fil conducteur correspondant parfaitement au cahier des charges de son patron : faire passer le message que la gestion de cette crise par le gouvernement était nulle. Selon le cas – et l’écart choisi pour se situer en « border line » -, on a pu entendre des arguments objectifs (sur l’impréparation, sur les errements du début au propos des masques, sur le choc à la fois moral et financier affectant les commerçants ou restaurateurs, et également sur le caractère parfois ubuesque des fameuses « attestations de sortie ») ; mais on a entendu aussi une brutalité inouïe de Pascal Praud, traitant de « nul » à plusieurs reprises le ministre de la santé, ou se lançant dans des prévisions foireuses (comme par exemple, lorsqu’il paria devant la caméra que l’ouverture des restaurants ne se ferait pas au printemps dernier). Parfois aussi, une toute autre musique se faisait entendre, en parfait diapason avec celle des ultra-droites, en France, en Europe ou aux Etats-Unis : que les confinements ne servaient à rien ; que les vaccins pouvaient être dangereux, ou en tout cas inefficaces ; que le passe sanitaire était une atteinte grave à la liberté ; ou alors – et pire encore – que « l’épidémie n’était pas si grave que ça », et que donc « son traitement faisait bien plus de mal que le virus ».

Soyons clair aussi : Pascal Praud n’a pas repris à son compte les théories complotistes sur l’épidémie du COVID 19, épidémie qui n’aurait jamais existé, ou qui serait une « plandémie » préparée à l’avance par Bill Gates, Jacques Attali et autres figures mythiques des délires sur Internet ; des théories véhiculées essentiellement par des mouvances de l’ultra-droite mais pas que (lire à ce sujet mon article repris sur ce site). Il a reçu des médecins et épidémiologistes sérieux, que l’on pouvait aussi retrouver sur des chaines d’infos concurrentes. Et, heureusement, le docteur Brigitte Milhau, référent santé de CNEWS, intervient également pour rappeler des arguments de bon sens. En particulier contre Ivan Rioufol, toujours fidèle au « protocole Raoult » malgré toutes les casseroles de l’IHU Marseille révélées au fil des mois ; et toujours hostile aux vaccins, comme on peut le voir sur cet extrait vidéo. Mais Ivan Rioufol revient chaque vendredi. Il intervient sur le plateau comme caution de la chaine pour ne pas désespérer la frange du public, « covidosceptique » et « antivax » : que recherche le producteur de l’émission ? Demain, et si leur nombre monte en puissance, pourquoi ne pas imaginer une caution pour les adeptes de la Terre plate ? Ou pour les disciples de feu Robert Faurisson ?

Pour finir, quelques exemples de désinformation grave passées dans le cadre de « L’heure des Pros ». Commençons par les interventions plus que douteuses du docteur Michaël Peyromaure. A l’automne 2020, au début de la deuxième vague et alors qu’on vivait un nouveau confinement, il affirmait qu’on « allait massacrer un pays pour sauver 10, 20 ou 30.000 vies », et que « des millions de Français seraient ruinés ». On connait la suite de l’histoire : ce genre de prévisions apocalyptiques pour l’économie ont été totalement démenties ; mais surtout, ce médecin prêt à sacrifier allégrement des dizaines de milliers de vies n’a pas été interrogé ensuite sur ce qu’aurait été le bilan sans confinement : en tout cas bien pire que les chiffres qu’il avait lancés, et qui hélas ont été même dépassés et ce malgré les contraintes sanitaires. Le même professeur Peyromaure, apprécié par Pascal Praud, devait critiquer au mois de janvier « la vaccination à marche forcée dans les EPHAD » en ayant cette formule d’une brutalité qu’apprécieront ceux qui ont un parent proche dans ces établissements : « Pourquoi on va en Ehpad, sinon pour y terminer sa vie ? » Mais il devait se surpasser, encore plus et faisant franchir à l’émission la ligne jaune du complotisme, en disant « il est possible que des mécontents de la décision de non confinement saturent à dessein certains services de réanimation. » : un complot des blouses blanches, avancé sans preuve aucune, pour salir des confrères et passant, tranquillement sur une chaine d’information à une heure de grande écoute !

Le dernier exemple est tout récent. Marie-Estelle Dupont fait partie des invités réguliers du jeudi. Psychologue « spécialisée en psychopathologie, neuropsychologie, psychosomatique » elle est une caution jeune et intellectuelle aux côtés de journalistes politiques plus aigris. Elle a toujours été très critique sur la politique sanitaire menée en France contre l’épidémie – mais il faudrait préciser, menée presque partout en Europe ; il est vrai aussi que, à l’image des partis nationaliste que CNEWS sponsorise, la vie en dehors de nos frontières n’existe quasiment pas sur leurs plateaux. Jeudi dernier, elle devait lancer une petite « bombe » en présentant un document publié par une agence officielle dépendant du ministère de la santé. « En 2020, seulement 2 % des hospitalisations et 5 % en réa étaient liées au Covid. (…) On a donné l’impression que les services étaient pleins de patients Covid, mais ce n’était pas le cas. (…) La peur a été disproportionnée », comme on peut l’entendre dans cet extrait vidéo tweeté par Gilbert Collard.

Nicolas Berrod, journaliste au « Parisien », a consacré un fact checking très complet relativisant fortement ces deux chiffres. Commençons d’abord sur l’angoisse prioritaire qui était celle d’un manque éventuel de lits de réanimation. Un premier biais est à lever, concernant l’occupation des unités de soins critiques : on y passe plus de temps que pour une hospitalisation simple. Extrait de cet article : « Si on se penche cette fois sur la part du Covid-19 parmi l’ensemble des jours d’hospitalisation, on tombe sur 4 % en hospitalisation (tous services confondus), 8 % en soins critiques et 19 % en réanimation. Cela signifie (…) que les patients Covid ont représenté 19 % des journées d’hospitalisation en réanimation l’an dernier. » Ensuite, une statistique lissée sur toute l’année 2020, ne vaut rien : il y a eu deux vagues distinctes, l’une en mars avril et l’autre à partir d’octobre. Il faut donc rapporter les chiffres à ces périodes, ce qui modifie bien sûr les pourcentages. Enfin, lors de la première vague on s’en souvient, seules deux régions ont été fortement impactées : le grand Est, et l’Ile de France. On a été obligés de déplacer d’une région à l’autre, malades en réanimation et personnels soignants, preuve donc que ces fameux « 5% » des réas ne voulaient strictement rien dire sur le terrain.

Cette soi-disant « bombe » fut lancée le 11 novembre. Le lendemain, Pascal Praud en a remis une couche sur ce sujet. On finira en constatant, avec indulgence, que l’article du « Parisien » a été publié sur leur site le 12 à 10h27 : on espère que le producteur de l’émission – qui aurait quand même pu se poser de bonnes questions avant -, l’aura lu avec intérêt par la suite.

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