Dans un récent article publié par Le DDV, la revue de la Licra, Alain Barbanel se penche sur la stratégie de publication d’Éric Zemmour pour son dernier livre, et notamment ce que le nom de sa structure éditoriale, “Rubempré,” révèle. Au passage, il y relativise la notion de “livre autoédité” dont le polémiste d’extrême-droite essaie de se targuer : quand on a le groupe Editis (filiale de Bolloré) pour assurer la promotion et la diffusion-distribution, on n’est pas “auto” quoi que ce soit, pas si les mots ont un sens.
L’essentiel de l’article explore la figure littéraire de Lucien de Rubempré, le héros des Illusions perdues, et les raisons que peut avoir Zemmour pour se mettre sous son patronage. C’est amusant, mais il y a un mot qui n’y apparaît pas : “échec”. Ou “chute”. Ou “catastrophe finale”.
Pourtant, le titre du roman devrait donner une indication : Illusions perdues…
Car si Lucien de Rubempré est un parfait exemple de personnage balzacien, ambitieux et romantique, naïf et prêt à se salir les mains, il connaît aussi un destin fréquent dans les romans qui constituent la Comédie humaine : écrivain en herbe monté de province à Paris, il connaît d’abord des succès fulgurants dans le journalisme (on imagine bien que cela plait au plumitif Zemmour) mais finit par perdre ses amis, perdre la femme aimée, faire des dettes et être rejeté de tous. Il ne rebondit que grâce à l’aide de Vautrin, un ancien forçat et escroc sans vergogne qui s’est pris d’affection pour lui. [1]Au passage, Vautrin est un des premiers exemples de personnage homosexuel dans la littérature française. Il est piquant d’imaginer le très viriliste Zemmour dans la peau de la … Continue reading
Dans le roman suivant, Splendeur et misère des courtisanes, Lucien de Rubempré revient sur la scène parisienne, et connaît des succès mondains grâce aux fonds et à la stratégie de Vautrin. Cette fois, il fait de la politique (ce qui doit aussi plaire à Zemmour) et tente de faire valider par le roi son nom et son titre de Rubempré (car sinon, à l’état-civil, il s’appelle Lucien Chardon), de décrocher un beau mariage et un poste d’ambassadeur. Tout cela nécessite beaucoup d’argent, et entre les magouilles de Vautrin, celles des sbires de l’ancien forçat et la pression des limiers de la police qui sont sur sa trace, Lucien se retrouve finalement au bout du rouleau. Il est jeté en prison et se suicide dans un accès de désespoir.
Comme inspiration pour une carrière littéraire ou politique, on a fait mieux. Et c’est sans compter le ridicule d’un homme de 63 ans essayant d’endosser la défroque d’un jeune premier. Mais il compte évidemment sur le fait que beaucoup de gens ont entendu parler de Balzac, mais vaguement, sans avoir lu ses romans ou même vu un film qui en est tiré.
Je suggèrerais bien à Jean-Michel Blanquer, en plus des Fables de La Fontaine, de réhabiliter la lecture de Balzac dans les classes. L’inculture ne profite qu’aux manipulateurs.
Notes
On peut aussi découvrir ce personnage des romans de Balzac, au-travers d’une excellente série vintage dont l’INA a eut la bonne idée de mettre le premier épisode intégralement sur YouTube : https://youtu.be/2eWbzRpU1pE. On y décèle aisément, comme tu le dis, Irène, toute la fatuité d’une personnalité comparable à celle de Zemmour et l’on se surprend, mais qu’est-ce qui nous surprend encore concernant cet individu, qu’il ait choisi le nom de Rubempré pour sa maison d’édition.
Joli ! Merci pour cette trouvaille.
[…] en campagne sans dire qu’il entrait en campagne, utilisant la tournée promotionnelle de son dernier livre pour multiplier les apparitions médias, récolter de l’argent et tester […]