La présidentielle est passée, Emmanuel Macron a été réélu avec un score sans appel, n’en déplaise aux esprits chagrins, et déjà la bataille pour les législatives commence. Mais ce faisant, il me semble que les commentateurs divers passent à côté de quelque chose de grave : l’inexistence d’une opposition républicaine, qui a laissé le champ libre aux extrêmes… C’est là qu’il y a des inventaires à faire !
C’est quand même énorme : le PS, qui a fourni un Président de la République il y a tout juste dix ans, et LR, qui a engrangé près de 20% au premier tour en 2017, sont tous deux sous la barre des 5%… Que s’est-il passé ? Ou plutôt, que n’ont-ils pas fait, pas vu arriver ?
Pas besoin de sortir de Sciences Po, cependant, pour comprendre qu’ils n’ont pas évolué, pas adapté leur logiciel depuis cinq ans. Ils n’ont voulu voir dans la victoire de 2017 que le front républicain (pourtant déjà un peu fissuré, on l’a vu, avec Jean-Luc Mélenchon refusant d’appeler à voter pour lui contre l’extrême-droite), et ont cru qu’il n’y avait pas d’adhésion réelle dans le pays à Emmanuel Macron… Erreur.
C’est bien le premier tour de 2017 qui n’a toujours pas été analysé par les états-majors politiques, soit le fait qu’un quart des votes soit allé à un nouveau venu promettant de sortir du jeu de bascule stérile entre droite et gauche.
Ce n’était pas une candidature antisystème de plus, car il y avait en face Le Pen et Mélenchon, qui tous les deux promettaient de renverser la table. Non, l’idée était d’apporter un changement constructif : prendre les bonnes idées d’où qu’elles viennent, bâtir pour l’avenir… On peut discuter du bilan du quinquennat écoulé, de ses forces et faiblesses, mais pas prétendre que rien n’a été fait, ni que c’était une parenthèse “néolibérale”, comme le prétend la gauche, ou du “gauchisme”, comme le clame la droite.
Cette accusation d’ultra-libéralisme est non seulement absurde, mais rend le PS inaudible car impossible à différencier de l’extrême-gauche, PCF et de LFI. Et les électeurs sont forcément tentés d’aller à l’original qu’à la copie… Même phénomène à droite quand Les Républicains accusent la majorité de laxisme et même de “dérive woke” : les électeurs entendent surtout une validation des thèmes de l’extrême-droite… Et on voit les résultats dans les urnes.
Ce n’est pas juste une question de communication, même si ça compte : ce sont les bases de l’identité des partis de droite et de gauche qu’il faudrait revisiter. Le Parti Socialiste continue de se définir par rapport au marxisme, et LR restent avant tout conservateurs, sur le plan social comme en économie… Cela explique une partie de la virulence envers Emmanuel Macron à gauche malgré la baisse du chômage : il est sorti des méthodes de gauche classiques, avec leur arrière-plan mental de lutte des classes (ISF, réduction du temps de travail), c’est un sacrilège ! À droite aussi, les bons résultats économiques sont mentalement annulés parce qu’obtenus sans appliquer le “moins d’État” hérité de Thatcher et Reagan. Il suffit de voir comment ils discutent de la dette sans référence au covid, pourtant un facteur lourd… (Même phénomène, toutes proportions gardées, chez EELV, qui refuse de voir ce qui a été fait de bien pour le climat parce que le gouvernement n’a pas adopté la décroissance ni la sortie du nucléaire.)
Je ne parle même pas des querelles d’appareil, des choix de candidats plus ou moins bien inspirés… Plutôt moins, on l’a vu. Il y a pourtant des gens de talent et de conviction dans ces partis, mais tout se passe comme s’ils étaient invisibles dans leur propre camp.
Et ce n’est pas ce qui se passe depuis dimanche qui a de quoi rendre optimiste. Passer tout de suite aux accords d’appareils et à la cuisine électorale, sans égard à la compatibilité des visions du monde… Ce n’est pourtant pas un détail de savoir si on veut une politique alignée sur Poutine, voire sur les Frères Musulmans.
J’espère sincèrement que cela va bouger. On a besoin d’au moins deux partis non extrémistes pour faire vivre la démocratie. Aujourd’hui, Emmanuel Macron a réussi à fédérer un pôle progressiste et économiquement pragmatique. Le RN et LFI incarnent les tendances anti-système…
Mais il y a place pour au moins un parti qui se revendiquerait de valeurs démocratiques (pluralisme, non-discrimination…) tout en optant pour d’autres solutions sur le plan de l’économie, de l’Europe, etc. Il y a d’ailleurs des projets de ce genre dans les ailes droite et gauche de l’actuelle majorité, avec Horizons, le parti d’Édouard Philippe, et Territoires de Progrès, lancé par Olivier Dussopt : des mouvements qui ont vocation à réfléchir sur le fond, apporter des propositions et faire émerger des cadres, bref de vrais partis politiques, aujourd’hui alliés autour d’Emmanuel Macron, mais qui ont leur logique propre et pourraient à l’avenir nouer d’autres alliances.
Ne me dites pas que les Français manquent d’idées en la matière !