La géopolitique de Zemmour, entre allégeance à Poutine et nostalgies coloniales

Le Canard enchaîné du 16 février a eu la bonne idée de regarder les antécédents des “conseillers pour les affaires étrangères” qui entourent le candidat Zemmour. Autant dire tout de suite qu’on n’y trouvera pas de noms d’experts respectés de leurs pairs… En fait, c’est à se demander s’il vise vraiment l’Élysée ou s’il se prépare pour une carrière dans le business de la Françafrique, ou peut-être pour suivre François Fillon au conseil d’administration d’un groupe pétrolier russe.

Ainsi de Caroline Galactéros, lobbyiste de Poutine (et hélas colonelle de réserve chez nous) ; Loïk Le Floch Prigent, figure de la Françafrique, ancien patron d’Elf Aquitaine qui a fait de la prison pour détournements de fonds et autres délits en col blanc ; Olivier Pardo, avocat de Zemmour ainsi que de l’inamovible Obiang, dictateur de Guinée équatoriale ; et quelques autres personnages déjà militants d’extrême-droite, ou grenouillant en Afrique, ou les deux. Et puis il y a un nom qui se détache parmi cette collection de gloires déchues et de seconds couteaux : Bernard Lugan.

C’est un nom probablement plus connu au sein de l’armée française que du grand public. Véritable historien, Lugan a été longtemps enseignant à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), dans les écoles d’officiers de Saint-Cyr-Coëtquidan, et au Collège interarmées de défense. Il y donnait notamment des cours sur l’Afrique, et il reste considéré comme un expert incontournable en ce domaine par de hauts gradés français, y compris l’ancien commandant de l’opération Barkhane. La lettre mensuelle de Lugan, intitulée “L’Afrique réelle”, a un lectorat militaire fourni, qui la partagent abondamment sur les réseaux sociaux, s’en servent pour des briefings, etc.

Et cependant, en 2015, il a été écarté du corps enseignant des écoles militaires, sur décision du gouvernement d’alors. Rien n’a filtré sur les raisons, bien sûr, mais on peut penser que la vision très particulière de l’Afrique de Lugan n’y a pas été pour rien.

Monarchiste, ancien militant de l’Action Française (groupe qui d’ailleurs soutient aujourd’hui Zemmour), collaborateur fréquent des journaux d’extrême-droite, compagnon de route d’Alain Soral et de Renaud Camus (l’homme du “grand remplacement”), Lugan semble avoir arrêté sa montre au début du XXe siècle, au temps du maréchal Lyautey, dont il cite volontiers une sentence au sujet des Africains : “Ils ne sont pas inférieurs, ils sont autres”. Ce qui à l’époque dénotait une certaine ouverture d’esprit. En rester là aujourd’hui est signe d’un désir profond de séparer les “races”.

On ne s’étonnera donc pas de voir les autres historiens, dans leur ensemble, furieux contre un collègue qui essentialise les Africains, ramène tout à la notion d’ethnie, répète que les États issus des indépendances n’ont pas de légitimité, que l’immigration va submerger l’Europe, que la colonisation était une chance pour l’Afrique, que l’Apartheid était un temps heureux où Noirs et Blancs vivaient séparés mais “en bonne intelligence”… Il va jusqu’à nier que Nelson Mandela ait été un leader respecté en Afrique du Sud, sans avoir conscience du ridicule d’une telle affirmation. La présentation de sa lettre mensuelle a aussi de quoi mettre mal à l’aise, agrémentée de photos d’Africaines nues représentant les prétendus “types” ethniques, comme dans les vieux récits ethnographiques. Ou un documentaire animalier.

Voilà donc le genre d’historien dont Zemmour fait son miel : un quasi-dinosaure, dont les idées sont contemporaines de Bainville, Barrès et Maurras, les maîtres à penser du polémiste. Qui regrette la fin de l’Apartheid, nie le massacre du 17 octobre 1961 et ne reconnaît pas les pays issus des indépendances. On en vient à se demander ce qui, dans le semi-échec de Barkhane, peut lui être imputé, vu l’intérêt porté par l’état-major à ses thèses…

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