L’homme au centre de la photo s’appelle Ramzan Kadyrov, président de la République de Tchétchénie, l’un des États constitutifs de la Fédération de Russie, homme fort d’un régime de terreur où la torture et les meurtres d’opposants sont monnaie courante, et d’une “réislamisation” forcée du pays, avec mise des femmes sous un joug patriarcal et persécution des homosexuels. C’est aussi un fidèle parmi les fidèles du président russe, Poutine, dont il se dit “un fantassin”.
Des milliers de combattants tchétchènes ont été envoyés en Ukraine le 25 février à l’appui des troupes russes d’occupation. On peut les voir ici prier collectivement avant de partir en opérations. Les chants djihadistes font aussi partie de leur préparation au combat. La liberté de religion ne fait partie des priorités de Kadyrov, on s’en doute. Et quant à la protection des populations civiles…
Mais au fait, on ne nous avait pas vanté la Russie comme rempart de l’Occident chrétien ?
Un argument qui revient souvent dans la bouche des identitaires, sur les réseaux sociaux, dans les médias d’extrême-droite et ainsi de suite. Si on critique la Russie, on est “islamo-gauchiste”. Les nombreuses guerres de Poutine ? Il “va chercher les terroristes jusque dans les chiottes”, pour citer sa propagande. Et on vante la Russie “millénaire”, qui cultive ses “racines chrétiennes”…
L’agression du 24 février contre l’Ukraine a, comme on sait, fait voler en éclats les prétentions de Vladimir Poutine à jouer un rôle de paix et de stabilité en Europe. Ces prétentions étaient déjà extrêmement douteuses après le soutien aux séparatistes de Crimée et du Donbass, mais cela n’empêchait pas les partisans de “l’alliance russe” de s’agiter chez nous et de prôner un alignement politique, économique et culturel sur Moscou.
Qu’un gauchiste comme Jean-Luc Mélenchon reste fidèle à l’ancienne “patrie du socialisme” n’est pas vraiment étonnant. Mais des “patriotes” autoproclamés comme Eric Zemmour, Marine Le Pen ou Marion Maréchal ?
L’argument est simple, et loin d’être limité à l’extrême-droite. Il suffit de regarder comment Valeurs actuelles présentait Poutine en 2016 : “Patriote, chrétien, anti-islamiste”. Passons un moment sur le “patriote” : il faudrait dire nationaliste, en toute honnêteté. Mais pour le reste ?
La Russie de Poutine est certes un parfait exemple de l’alliance du sabre et du goupillon : la constitution fait une place importante à l’église orthodoxe russe, et on y envoie facilement en prison ceux qui se moquent de la religion. Mais seuls 3% des Russes sont pratiquants, soit moins que les catholiques en France. Avoir une religion d’État ne semble pas un grand avantage pour la religion, sur le long terme.
Quant à l’opposition aux islamistes ? Il faut le dire vite. On a vu comment l’un des plus fidèles vassaux de Poutine, Kadyrov, régnait sur la Tchétchénie comme sur un second État islamique, au sein même de la Fédération de Russie. Et son enthousiasme à participer à l’invasion de l’Ukraine comme à un djihad n’est pas de bon augure pour les risques d’exportation de l’islamisme dans la région. De nombreux territoires de l’ex-URSS sont musulmans en majorité ou ont des minorités musulmanes (y compris les Tatars de Crimée, qui se retrouvent entre le marteau et l’enclume). Le Kazakhstan, lui, a refusé d’envoyer des troupes à l’appui de la Russie. Un pays musulman qui est moins va-t-en-guerre que la Russie : cela devrait tout de même faire réfléchir les identitaires, s’ils ont un peu d’honnêteté intellectuelle.
Bref, l’aventurisme militaire de Poutine s’appuie sur le plus obscurantistes des pays musulmans de la région. Mais pourquoi s’étonner ? En Syrie, la Russie était intervenue non pas pour combattre Daech ou même protéger les chrétiens d’Orient, mais pour soutenir le dictateur Assad contre les Syriens insurgés.
La Tchétchénie de Kadyrov, de son côté, a fêté comme un héros l’assassin de Samuel Paty. C’est donc particulièrement amer de voir les Zemmour et consorts dévider la propagande de Poutine sur le prétendu choc des civilisations. La vraie frontière ne passe pas entre Orient et Occident, ou entre musulmans et chrétiens, mais entre civilisation et barbarie. Ici, la barbarie d’envahir un pays plus petit et moins bien armé, sous des prétextes futiles. Les soutiens de Poutine, des identitaires aux djihadistes, se reconnaîtront.
Merci pour cet article Irène. Kadyrov est effrayant
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